Blog - Marketing is Dead
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Citizen Insight : une soirée au Gibus

medium_manson.jpgQue sera demain le monde l’industrie musicale – non, le monde de la musique, car il n’est pas sûr qu’il demeure une industrie… et d’ailleurs, pour bon nombre d’artistes, il est et sera jamais qu’artisanat !

Aujourd’hui la polémique fait rage entre les opposants et défenseurs d’une musique libre de droits, largement diffusée sur le Net, versus la protection des fichiers musicaux via des systèmes de plus en plus sophistiqués de gestion numérique des droits, ou DRM : Digital Rights Management.

D’un côté les majors de l’édition musicale, et quelques distributeurs, qui vouent aux gémonies les réseaux de P2P et les jeunes qui téléchargent sans vergogne des millions de fichiers mp3, spoliant ainsi de malheureux artistes sans défense : au premier rang, coude à coude…

Pascal Nègre, président d’Universal Music France : « J’aimerais bien que les pouvoirs publics nous laissent le temps de mettre en place des systèmes de protection […] . Qu’on nous fiche la paix, qu’on nous laisse les installer ».1

… et Steve Jobs, président d’Apple selon un loi favorisant l’interopérabilité des fichiers musicaux ferait « s’effondrer les ventes de musique en ligne juste au moment ou les alternatives légales commençaient à séduire les clients » ; et de parler de « piratage sponsorisé par l’Etat ».2

De l’autre, 8, 10, 15 millions de jeunes – et de moins jeunes – abonnés à eMule, Gnutella et autres KaZaA… sans oublier les petits – mais prometteurs – derniers : BitTorrent et ses cousins ! Sans oublier ceux qui, sans même se connecter au Net, se contentent d’un rapide drag and drop pour récupérer en un instant quelques gigaoctets sur le disque dur de leurs copains.

Au milieu les indépendants qui, sans bien évidemment légitimer le P2P, présentent un discours plus modéré, Patrick Zelnik, président de Naïve, allant jusqu’à prôner la discussion avec ses opérateurs, et soulignant la responsabilité des majors : « Le premier danger pour l’industrie n’est pas la piraterie mais l’uniformité de l’offre ».3

Et d’autres distributeurs, comme la Fnac, qui dénoncent toutes les atteintes à l’interopérabilité – la possibilité donnée à tout un chacun d’écouter la musique qu’il achète sur le lecteur de son choix, et non nécessairement un baladeur spécifique comme dans le système iPod + iTunes :

« Pour une interopérabilité, la Fnac encourage les utilisateurs à graver des CD avec les morceaux téléchargés puis les encoder en mp3 afin que tous les lecteurs numériques puissent les lire. Des affiches dans les Fnac et une page sur le site explique d’ailleurs la procédure, assez étonnant quand on sait que cela fait sauter la protection DRM ».4

Les positions ne sont pas bloquées et les dernières semaines ont connu de redoutables retournements de situation – pour ne pas dire de veste – avec Steve Job acceptant de vendre sans verrou aucun l’intégralité du catalogue de la maison de disque EMI !5

Et les artistes dans tous ça ? Il y a ceux qui sont viscéralement opposés à toute légalisation du P2P, notamment dans le cadre d’une licence globale, de Johnny Hallyday : « Légaliser le téléchargement de la musique presque gratuitement, c’est tuer notre travail », à Maxime Le Forestier : « C’est un recul par rapport à Beaumarchais ».6

Et puis il y a David Bowie qui déclarait lors de la sortie de son album Reality : « J’imagine que la musique changera pareillement dans son essence et sa fonction. Aussi accessible que l’eau et l’électricité, il ne sera plus indispensable de payer pour l’avoir et elle ne sera plus le bien exclusif de quiconque. Et l’originalité des artistes ne se fondera plus que sur le spectacle ».7

Mais le futur de la musique et de l’édition musicale ne saurait se résumer à une bagarre juridique et financière entre opérateurs mondiaux : déjà, il y a eu les précédents des Artic Monkeys ou Clap Your Hands Say Yeah qui se sont hissés au sommet des charts simplement après avoir mis plusieurs de leurs en téléchargement gratuit sur le Net.8  

Mais pour réellement appréhender le futur de la musique, il convient avant tout d’appliquer une démarche curieuse… et d’aller là où elle se crée, de regarder autour de soi, écouter. Une démarche de type Citizen Insight –d’immersion totale… sans a priori, sans contraintes. Aller au devant des artistes… pas des Johnny, Maxime et autres David : de ceux qui n’ont pas encore pressé d’album, se débrouillent par eux-mêmes, sans maison de disque.

Il y a des tas d’endroits à Paris où passent de tels artistes : généralement, les marketers découvrent ce qui se passe dans de tels lieux « branchés » en parcourant des rapports de tendance, des études où quelques trends setters dévoilent les lieux étranges d’une vie nocturne nécessairement passionnante mais marginale.

Un conseil : ne vous contentez plus de lire le reporting – certes très riche – des sociétés d’études ! Vivez : pratiquez une démarche de type Citizen Insight et découvrez la « vraie vie »… si, si, elle existe !

Evidemment la vraie vie nécessite parfois de passer le périphérique – et de faire la queue dans un Lidl de Montreuil ; pour la musique, si vous ne vous sentez pas l’âme aventureuse des concerts rap du 93, allez faire un tout par exemple au Gibus, près de la place de la République.9

Régulièrement, Emergenza y organise des concours : des artistes plus ou moins débutants ont 30 minutes pour convaincre… avant le vote à main levée : les vainqueurs se produiront ensuite au New Morning. Le Gibus n’est que la première des 5 étapes d’un long parcours du combattant qui conduira les meilleurs à la grande finale internationale de Rothenburg, un petit village allemand.

« Emergenza est né il y a quinze ans, en Europe, d’un groupe de musiciens passionnés ayant besoin de s’exprimer », nous apprend son site Internet10 : on est loin de la Star Academy ! Pas de paillettes, seulement la fièvre de caves enfiévrées comme le Gibus et la passion des milliers d’artistes !

Jeudi 12 Avril, 8 groupes concouraient pour trois places au New Morning – la seconde étape : voici le site des 3 gagnants :

Licite Fondation : http://perso.numericable.fr/~nathduma/index.htm, avec 96 mains levées !

Oniromancy : www.oniromancy.com, 85 votes.

Naissance 21 : http://www.naissance21.fr.tc/, 76 votes.

Et ces artistes, que pensent-ils de la musique en France, aujourd’hui… et demain ? Enfin de la musique pop, celle que j’aime bien, moi aussi ? A la fin du concert, j’ai été leur demander leur mail… je vous tiendrai au courant.

En attendant, n’hésitez pas à aller les écouter au New Morning – ou ailleurs !

Et notez enfin que le 5 Juin, Marilyn Manson sera à Bercy ; et le 11 Juin, les White Stripes seront au Zénith. Le printemps s’annonce chaud !

1 http://bigbrotherawards.eu.org

2 http://www.lemondeinformatique.fr

3 http://www.chorus-chanson.fr

4 http://www.presence-pc.com

5 Voir note du 04.04.2007.

6 http://www.volubilis.net

7 http://libération.fr

8 Voir note du 13.05.2006.

9 18 rue du Faubourg du Temple

10 http://www.emergenza.net/fra/default.asp

 

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L’illusion du futur ou l’impossible imaginaire

medium_Fabriquerfutur2.2.jpgPetite contribution à Fabriquer le futur 2, seconde édition du livre de Pierre Musso, Laurent Ponthou et Eric Seuilliet, dont je vous ai déjà annoncé la récente sortie en librairie.*

Impossible à la fin des années quatre-vingt dix d’évoquer les écrans plats au cours d’une quelconque réunion de consommateurs sans que tout le monde ne s’extasie : « Extraordinaire, on baignera dans l’image, on sera au cœur des films ».

Impossible deux ou trois ans plus tard, d’aborder le même sujet sans que revienne de manière récurrente l’angoissante image de 1984 d’Orwell : « C’est un peu comme si la télévision nous suivait partout, on n’est plus vraiment libre de ses loisirs ».

Aujourd’hui, les consommateurs qui achètent des écrans plats n’achètent simplement que… des téléviseurs moins encombrants, un point c’est tout : en quelques années, on est passé de la fascination absolue à un étrange malaise – pour sombrer aujourd’hui dans la plus grande banalité des usages.

A chaque fois, les futurologues se sont bien évidemment laissés piéger : l’imaginaire que nous révèlent toutes les études qualitatives prospectives – en groupes ou individuelles – ne reflètent en réalité que les attentes, espérances, angoisses et désillusions des interviewés face… à leur présent : en 1998, c’était l’euphorie de la Nouvelle économie, et en 2002, le stress d’une crise mondiale sans précédent. Autant d’affects qui suintaient sur le quotidien des Français, les rendant euphoriques avant de les déstabiliser. Et pourtant !

Et pourtant, le futur apparaissait si prévisible : les grandes innovations – la téléphonie mobile, Internet – étaient déjà connues, voire maîtrisées par bon nombre d’entre nous, et l’avenir s’inscrivait dans une simple logique d’évolution : de plus en plus de services sur nos terminaux portables, le commerce traditionnel basculant pour partie en ligne, et le bras de fer grandissant entre les majors de l’édition musicale et les enfants de Napster.

Mais les nouvelles technologies ne changeaient en rien les schémas ancestraux de l’Information et de la Communication en nos sociétés occidentales : le téléphone mobile, c’était le téléphone sans un fil à la patte, Internet, plus de connaissance et plus vite ; mais TF1.fr parlait comme TF1, et tous les sites médias comme tous les mass médias traditionnels : one to many !

Peut-être la plus grande révolution – et la plus grande surprise – vient-elle des… SMS, ces petits messages personnels, si pauvres, auxquels aucun marketer – et bien sûr aucun ingénieur – n’accorda alors la moindre attention, mais qui préfiguraient le développement d’une communication asynchrone : « Je dis à mon copain que je pense à lui, sans me condamner à passer dix minutes avec lui à parler de tout et n’importe quoi ». Non, pour les gens des télécoms, l’avenir s’inscrivait dans une profusion de messages et d’interactivité : c’était le Wap, dont le succès ne fut hélas pas au rendez-vous !

Mais le développement de l’asynchrone – de l’interactif pauvre – rompait – et rompt encore – toute une logique d’évolution : dès lors, le futur devient inenvisageable, du moins pour la quasi-totalité de la population – excepté peut-être une frange marginale d’experts…

L’asynchrone des SMS apporta les premiers signes d’une violente rupture qui s’amplifie de jour en jour et que Tim O’Reilly a baptisée Web 2.0 : fin des mass médias et passage du one to many au many to many ; horizontalité, et non plus verticalité de la communication ; et bien sûr participation du plus grand nombre et systématisation de l’asynchrone.

Et là, les usages vont beaucoup plus loin que les imaginaires.

Les imaginaires se construisent dans la durée : nous pénétrons dans le champ des inconscients collectifs, de la psychanalyse de Jung, dans l’élaboration d’archétypes. Les usages sont instantanés, instinctifs et volatiles ; et d’autant plus instantanés, instinctifs et volatiles que ce sont souvent les plus jeunes qui les initient.

D’où le succès, après les SMS, de plateformes de blogs comme celle de Skyrock et de sites communautaires comme MySpace, qui mettent à bas les fondements de l’économie traditionnelle… précipitant la chute de la presse quotidienne française, déstabilisant durablement les majors de l’industrie musicale.

Depuis des années, les citoyens ne croient plus à l’objectivité des médias nationaux – les plus critiques à cet égard étant les lecteurs de la presse nationale, les autres se contentant des journaux télévisés ; et voilà que les blogs leur apportent une information – et surtout un commentaire sur cette information – estimé plus honnête : à quoi bon continuer à s’abonner à Libération ou au Monde ?

Concernant la musique, le bras de fer entre les majors et les sites de P2P ne s’est pas résolu par la victoire d’une partie sur l’autre, mais par l’émergence d’un nouveau modèle où la promotion passe par la mise à disposition gratuite des nouveaux morceaux sur Internet, indépendamment de toute opération de marketing traditionnelle : et c’est ainsi que les Artic Monkeys ont fin 2005 inscrit leur premier single en tête des charts anglais – ce à quoi ni les Beatles,  ni les Stones n’étaient parvenus !

Qui aurait pu imaginer cela il y a encore un an ? Certainement pas les éditeurs, tout à leur lutte contre les pirates du Net ! En fait, personne.

Traditionnellement l’imaginaire des citoyens reflète au mieux leur présent – et certainement pas leur futur ; avec la montée en puissance de Web 2.0 et des pratiques qui y sont liées, la gageure prospective devient caricaturale. »

* Voir ma note du 03.03.2007.

 

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Presse quotidienne : la fin d’une époque

medium_PQN.jpgArticle paru dans Presse Edition n°55 – Décembre Janvier 2007.

La presse quotidienne gratuite sera-t-elle le fossoyeur de la presse quotidienne nationale « classique » ? Fondés sur une lecture de type zapping, Métro ou 20 Minutes endosseront-ils la responsabilité de mort probable de titres comme France-Soir ou Libération ?

Le débat est ailleurs : aujourd’hui les médias traditionnels ne répondent plus aux exigences d’une population de plus en plus critique – parce que se sentant de plus en plus trompée – en quête de nouveaux repères. Et qui se tourne de plus en plus vers d’autres sources d’information.

L’arbre qui cache la forêt

Le business model de la presse gratuite ne présente aucune originalité : c’est celui de la radio, de la télévision. Les médias audiovisuels puissent leurs revenus, soit de l’impôt – la redevance, même si pour la radio, celle-ci n’est plus directement liée à la possession d’un poste –, soit de la publicité : dans les années quatre-vingt, les nouvelles stations de la bande FM se sont battues pour accéder à cette dernière manne !

La vente par abonnement n’est que très récemment apparue dans l’histoire, pourtant courte, de la télévision – avec l’arrivée de Canal Plus et surtout du câble et du satellite, et la fragmentation des audiences liée à la multiplication des thématiques : les chaînes généralistes à fortes audiences recourront au financement publicitaire (avec un apport étatique pour le secteur public), les autres demandant un droit d’accès à leurs auditeurs.

La presse, née avant la publicité, a toujours privilégié la vente – tant au numéro que par abonnements : les premiers almanachs étaient diffusés à la criée par des colporteurs itinérants. Et quand Emile de Girardin introduit la publicité dans son Petit Journal, il n’y voit qu’un financement complémentaire l’autorisant à baisser son prix de vente pour augmenter sa diffusion.

L’arrivée de la gratuité dans presse quotidienne ne constitue donc pas un réelle surprise – du moins sur le segment des titres à large diffusion, les journaux d’opinion ne drainant pas suffisamment de lecteurs pour intéresser réellement les annonceurs : elle apparaît même comme le réalignement de ce support sur les autres médias d’information, les radios périphériques notamment.

L’investigation coûte cher : la seule publicité pourrait-elle assurer le financement de titres comme Libération ou Le Monde ? Il semble que ce ne soit pas totalement le cas, si l’on compare l’épaisseur de 20 Minutes ou de Métro[1] à celle des précédents : l’analyse y fait cruellement défaut, ces titres se contentant grandement de décliner le fil des agences internationales ou de passer in extenso les communiqués des agences de relations publiques – sur ce dernier point, ils ne sont hélas pas les seuls !

Hors tout jugement de valeur, cela signifie simplement qu’il existe une clientèle croissante pour un contenu basique d’information – une sorte de degré zéro du journalisme – et qu’inversement – et parallèlement –, une presse quotidienne d’analyse et d’opinion constitue un concept vieillissant et en perte de vitesse : on pourra le regretter – ce qui est mon cas, fidèle lecteur de Libération depuis les années Jean-Paul Sartre – mais c’est un constat.

La Nouvelle Economie à la fin du siècle dernier a certainement contribué à accélérer la fuite en avant vers le tout gratuit : d’une part, parce que celui-ci constituait son unique business modèle – seule façon de gonfler artificiellement, mais immédiatement, les audiences pour attirer d’éventuels investisseurs[2] ; par ailleurs, les consommateurs ont bien été obligés de rogner sur des dépenses récurrentes pour financer celles liées aux nouvelles technologies – le téléphone mobile en premier.

La constante érosion de la presse quotidienne payante au profit de la gratuite ne s’explique que par un désamour plus profond – la crise qui frappe aujourd’hui la première ne saurait s’expliquer que par la montée en puissance de la seconde. Dans notre pays, jamais des titres comme Le Monde ou France Soir n’ont prétendu à des diffusions comparables à celles du Sun ou du Daily Mirror.

Surtout, depuis longtemps, l’analyse a migré vers un nouveau type de presse qui, malgré son nom, n’existe pas vraiment outre Manche : les news magazines. Les Français ont appris à se contenter de brèves informations quotidiennes, prenant le temps de la réflexion en fin de semaine : en Angleterre, aux Etats-Unis, ce sont les suppléments dominicaux de la presse quotidienne qui remplissent cette double fonction commentaire / détente.

Une crédibilité en perte de vitesse

La véritable question n’est pas : pourquoi les Français glissent-ils d’une presse quotidienne nationale payante, riche et complète, vers une presse gratuite, mais au contenu plus limité ? Mais : pourquoi les Français se détourne-t-il de plus en plus de la presse quotidienne nationale ? Car cette dernière a beaucoup moins prise de lecteurs à sa grande sœur qu’elle n’en a créé de nouveaux.

Le combat se situe certainement plus au niveau d’un marché publicitaire relativement peu extensible : en termes de lectorat, l’arrivée de titres comme 20 Minutes ou Métro cache une crise nettement plus profonde qui affecte aujourd’hui tous les supports d’information – et non la seule presse quotidienne.

Dans le baromètre annuel sur la crédibilité des médias réalisé par TNS Sofres[3], près d’un Français sur deux doute de la véracité des informations publiées par la presse – 48% versus 47% pour l’opinion inverse. L’écart se creuse fortement avec la télévision : 44% d’opinions positives versus 54% de négatives ; seule la radio tire – très relativement – son épingle du jeu, avec des résultats inverses à ceux du petit écran.

Au fil dans ans, les Français ont totalement perdu confiance dans leurs médias : la télévision, inféodée à de grands groupes capitalistiques – TF1 – ou au pouvoir politique – France Télévision ; mais également la presse et la radio, même si cette dernière s’en sort mieux – mais elle ne délivre qu’un contenu extrêmement limité : pas d’image, un temps de parole extrêmement réduit, avec une courte boucle éditoriale pour les stations en continu.

La radio tirerait-elle la crédibilité de cette « pauvreté » ? Peut-être : elle informe vite – plus vite encore qu’Internet ; et elle se limite aux faits les plus bruts – impossible de multiplier les commentaires en un espace temporel réduit.

Inversement la télévision, qui manie l’image – l’image apparaît toujours fortement soupçonnée de manipulation – et qui requiert en outre des moyens financiers gigantesques – d’où d’importants enjeux capitalistiques et ici encore les mêmes soupçons de trafics d’influence –, se révèle le plus critiqué des médias – la télévision, le mass média par excellence, et la caricature du système one to many.

Ce qui explique l’apparition, puis la montée en puissance, des blogs journalistiques au début des années 2000 aux USA – en pleine guerre en Irak, en pleine domination Républicaine. Ne s’estimant plus en mesure d’effectuer correctement leur travail – CNN, Fox News apparaissant complètement noyautés par le pouvoir économico-politique en place –, une poignée de journalistes décida d’utiliser les nouvelles ressources du Net comme contre-pouvoir… et comme média d’information « citoyen ».

Les premiers papiers publiés sur les opérations militaires en Irak ont rapidement bénéficié d’une forte audience, et d’une encore plus forte crédibilité – succès extraordinaire pour des supports ne bénéficiant d’aucune publicité et bien évidemment d’aucun moyen financier : mais ce n’était plus des institutions qui s’adressaient à la masse, bien au contraire : de simples citoyens d’adressant honnêtement à d’autres simples citoyens.

Le premier bras de fer a donc eu lieu au sein de la nation la plus puissante du monde, là où les patrons des médias sont les plus puissants : une alternative naissait, qui ne requerrait que des moyens extrêmement limités – mais une grande honnêteté…

Et c’est sur ce même terrain que se situe le nouveau combat en France de la presse quotidienne nationale – mais en fait de tous les médias d’information – versus un contre-pouvoir certes encore embryonnaire, mais d’une déjà extraordinaire vitalité : certainement pas la presse gratuite, mais le many to many.

Many to many

Pierre Bellanger a très fortement contribué au développement du phénomène des blogs en France… mais tout aussi certainement à en donner une image biaisée – bien involontairement, et ce qui ne remet en aucun cas son mérite en cause.

Extrêmement friand de culture – ou plutôt de contre-culture – américaine, le fondateur de Skyrock a découvert le phénomène à ses tous débuts ; de retour en France, il demande à ses équipes de l’adapter à la communauté de ses auditeurs, c’est-à-dire à un public d’adolescents : en quelques mois Skyblog accueille des milliers, puis des millions de blogs de collégiens et lycéens. Qui parlent de tout et de rien, de leur école, leurs petites et petites ami(e)s, de musique également : très rapidement – et bien évidemment à tort –, les spécialistes adultes parlerons de millions de journaux intimes brusquement portés sur la place publique !

Car un blog – même celui d’un gamin de 15 ans –, constitue un support d’information comme un autre, au même titre que TF1 ou Le Monde, n’en déplaise aux institutions qu’ils sont devenus ! Et additionnés les uns aux autres, tous ces blogs forment un média d’information d’une puissance extraordinaire : connaissez-vous les Artic Monkeys ?

Les Artic Monkeys ont réalisé en Angleterre ce que même les Beatles ou les Stones n’ont pas réussi : placer leur premier single au sommet des charts musicaux ! Ils y sont parvenus en diffusant gratuitement pendant six mois plusieurs morceaux de leur futur album sur le Net.

Démarche originale ? Pas vraiment en fait : des centaines de groupes font de même – mais tous ne décrochent évidemment pas la timbale ! Alors que c’est-il réellement passé ?

Leur musique a séduit une poignée d’internautes qui en ont parlé à d’autres, dans des forums ou sur leurs blogs : l’information a circulé – extrêmement crédible : elle ne provenait pas de critiques plus moins soupçonnables de complaisances, mais de réels amateurs – de jeunes en tous points identiques à ceux qui la lisaient.

Le succès des Artic Monkeys ne constitue pas un cas isolé : on citera pareillement celui de Clap Your Hands Say Yeah aux Etats-Unis.

Comment fonctionne / circule l’information sur les blogs ? Tous les bloggeurs disposent des mêmes moyens – ils sont tous égaux ; pourtant, assez rapidement vont se constituer des sortes nœuds dans la blogosphère – là où certains parlent avec plus « d’autorité ». Ainsi se crée le buzz : les nouvelles prennent de l’importance, gagnent en crédibilité – et les Artic Monkeys atteignent les sommets.

C’est le phénomène Web 2.0 : les citoyens parlent aux citoyens ; des millions de gens à des millions de gens – many to many ! Web 2.0, pour la musique, c’est des sites comme MySpace – une plateforme où chacun peut créer sa page personnelle pour y diffuser ses créations – et des milliers de blogueurs qui écoutent, critiquent et relaient l’information.

Un phénomène marginal ? Plus de 5 millions de blogs aujourd’hui sur la seule plateforme de Skyrock en France ; quant à MySpace, Rupert Murdoch a déboursé quelques 580 millions de dollars pour l’acquérir récemment. Non, Web 2.0 et la blogosphère constituent bien une réelle lame de fond – qui préfigure le paysage médiatique de demain : le pouvoir change de mains, il retourne aux citoyens.

Vers un nouveau modèle médiatique

La fameuse génération zapping dont se gargarisent bien des sociologues des médias n’existe guère que dans l’esprit de ces spécialistes : si les jeunes se contentent de brèves informations, ce n’est certainement parce qu’ils refusent analyse et réflexion, mais bien plus simplement parce qu’ils ne croient plus dans l’analyse et la réflexion pré-formatée des médias traditionnels.

Dès lors, à quoi bon payer – cher – ce dont on peut disposer gratuitement – et d’une qualité comparable : en fait, un simple fil d’informations, brutes et le moins possible manipulées. Le reste apparaît superflu – d’autant que les nouvelles technologies occasionnent de nouvelles dépenses : ADSL, téléphonie mobile, qu’il faut bien financer par ailleurs !

Que la montée en puissance de la presse gratuite ne facilite pas vraiment la vie de quotidiens déjà bien malades, c’est vrai ; accuser cette dernière de tous leurs maux constitue en revanche un raccourci un peu trop rapide. Mais globalement, les véritables responsables des malheurs des médias actuels… ce sont les médias eux-mêmes.

Evidemment dans le cas des télévisions généralistes, le risque semble plus lointain, puisque, d’une part, elles tirent leurs revenus de la publicité, et que, de l’autre, elles proposent plus de divertissement que d’information : n’empêche que l’audience des grands réseaux hertziens américains se tasse régulièrement[4] depuis déjà plusieurs années. Bien avant même l’apparition des blogs et de Web 2.0.

Blogs, Wikis, sites collaboratifs, etc., désormais les citoyens disposent d’une large palette de moyens d’expression : il serait suicidaire pour les médias traditionnels ne n’y discerner qu’un phénomène générationnel et nécessairement transitoire.

Bien au contraire, c’est toute la civilisation du one to many – celle des mass médias – qui bascule dans le many to many : des opportunités apparaissent à portée de main, tout comme bien des faillites sont à craindre.

Des opportunités : quelles opportunités ? Si demain – aujourd’hui même – les citoyens reprennent en main le contenu éditorial, les groupes médias devront accompagner le mouvement en leur fournissant les plateformes nécessaires : Skyblog hier, MySpace maintenant ; et Murdoch ne s’y est pas trompé en cassant sa tirelire pour acquérir cette dernière.


[1] Problème de jeunesse ? A Londres, les gratuits peuvent dépasser les 70 pages.

[2] Voir François Laurent : La grande mutation des marques high tech.

[4] IDATE News, 28 octobre 2003

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Du Consommacteur à l’Empowered Consumer

medium_casseur.jpgConsommacteur : magnifique mot valise – valise et fourre-tout, de surcroît ! Le consommateur acteur : mais acteur de quoi ?

Le terme est né de l’alter consommation et du commerce éthique, avant d’être détourné par le marketing qui se l’est indûment approprié… en le dévoyant fortement.

Le consommacteur originel présente un côté militant pouvant déboucher sur des actions énergiques, comme le boycott de marques non citoyennes : « Vous verrez […] que les grandes marques (plus chères) que vous connaissez appartiennent toutes à des groupes mondiaux, possédés par des actionnaires de tous pays, et produisant dans des pays à bas coût. A éviter donc », lit-on sur un tract : Devenez un Consommacteur !(1)

L’idée est que si une mondialisation effrénée ruine notre planète – et notre humanité –, les citoyens peuvent se mobiliser et réagir : qu’ils reprennent leur destin en main et que consommateurs passifs, et se muent en acteurs de leur consommation. Nike détruit des emplois en Europe en exploitant des enfants en Chine ? Refusons son impérialisme économique.

Inversement, le commerce équitable garantit une existence décente à des paysans défavorisés ? Soutenons les projets responsables et achetons le café labellisé Max Havelaar.

Le marketing ne participe évidemment pas d’un mouvement alternatif qui en dénonce les dérives les plus flagrantes, comme dans le livre de Naomi Klein : No logo, explicitement sous titré : La tyrannie des marques !(2) ; un mouvement pouvant déboucher sur l’activisme radicale des « casseurs de pub ».

Vu sous cet angle, consommacteurs et marketers ne sauraient faire bon ménage… même si certains s’interrogent : « No Logo est un livre qui m’a marqué ; je travaille en marketing et en design graphique, et je ne cesse de me demander si nous pouvons vivre de ce genre de métier sans avoir du sang sur les mains », peut-on lire sur le site de Radio Canada(3).

Tout au plus, le marketing y aura-t-il discerné une tendance sociétale plus profonde : la résurgence des valeurs de l’être versus le paraître, liée à un besoin croissant d’expression de soi. La mondialisation galopante conduisant à une nécessaire uniformisation – une lobotomisation – culturelle, les gens ressentent un impérieux besoin d’affirmer leur personnalité, marquer leur identité.

En mal de différenciation, les marques vont surfer sur la vague, les nouvelles technologies leur fournissent un support inespéré. Nike s’engouffre ainsi rapidement dans la brèche, en lançant son site Nikeid(4) : il est vrai que le leader américain a eu à subir les foudres des consommacteurs de la première génération, Michael Moore en tête qui débarque un jour dans le bureau Phil Knight, caméra sur l’épaule, et lui demande tout de go s’il sait que des enfants de moins 14 ans fabriquent les chaussures dans son usine en Indonésie.

Les nouveaux consommacteurs pourront, quant à eux, customiser les leurs sur Internet en choisissant la couleur, en précisant le nom qu’ils souhaitent y voir inscrit, etc.

A un consommacteur militant et solidaire, les marques opposent donc un nouveau consommacteur nettement individualiste, et à la créativité fortement bridée – elle ne s’exprime que dans un cadre très étroit et nécessairement préformaté. Le néo-consommacteur apparaît donc bien comme un pur produit marketing – un pseudo acteur !

Un nouveau consommacteur qui s’en va hanter les colloques et la presse professionnelle : « Libres variations sur des thèmes, les motifs contemporains sont porteurs du dynamisme d’un « consommacteur » qui attend des designers une nouvelle créativité, rien que pour lui », découvre-t-on dans Stratégies(5). Et la profession d’expliquer à la profession comment créer des produits qui laisseront croire à leurs clients qu’ils en sont les créateurs !

Evidemment, un tel discours ne séduit que ceux qui y croient… mais pas vraiment les consommacteurs supposés ! Ainsi le webmaster de Nike de recevoir la demande d’un internaute américain d’inscrire sur ses chaussures le mot « sweatshop » pour « rappeler l’effort et le travail des enfants qui ont fabriqué mes chaussures »(6). Refus embarrassé du fabricant qui découvrira avec stupeur la publication de ses réponses gênées sur divers sites et forums !

L’erreur du marketing aura été de croire que l’on pouvait traiter les consommacteurs comme de simples consommateurs, une cible émergente – des consommateurs as usual, avec de nouvelles motivations : auto expression, communication asynchrone, etc. Un peu comme les Activistes(6) d’hier privilégiaient hier leur élitisme au travers de marques identitaires : suffit alors de segmenter et adapter son offre.

Sauf que les nouveaux consommacteurs ne respectent pas les lois fondamentales du marketing, à savoir choisir au sein de propositions de plus en plus variées, celle qui leur convient le mieux. Ils ne comptent plus sur les marques pour leur permettre d’agir : ils agissent, point barre !

Ils ne se contentent plus d’illusions – d’une vie par procuration au travers des marques : ils reprennent leur destinée en mai, non pas parce qu’ils en ont soudain envie… mais simplement parce qu’ils disposent enfin des moyens pour !

Et là encore, les annonceurs l’ont appris à leurs dépends. Free, par exemple : début septembre 2005, Stéphane lance Freepouille, un blog pour raconter au quotidien ses déboires avec son fournisseur d’accès Internet ; un mois après, son audience explose – plus de 1500 visites hebdomadaires – et cela dure jusqu’à ce qu’enfin, fin novembre, une solution soit apportée à son problème.

Un an plus tard, son blog ne contient plus qu’une unique page de conseil : « J’avais écrit ce blog pour faire pression sur Free et d’une certaine façon, cela a porté ses fruits […] Mais plutôt que d’effacer complètement ce blog, je préfère ne laisser en ligne que cette note, dans laquelle je vais essayer de faire partager ma – petite – expérience… ». Ce qui ne l’empêche pas de totaliser aujourd’hui plus de 50 000 visites !

Le cas d’école reste celui des antivols Kryptonite : le 14 septembre 2004, le blog Engadget, un des plus populaires aux Etats-Unis, publie la note suivante : « Much to our surprise, we were able to hack our Kryptonite Evolution 2000 U-Lock with a ballpoint pen. This $50 lock is supposed to be one of the best for « toughest bicycle security in moderate to high crime areas » — unless the thief happens to have a Bic pen » ; une édifiante vidéo accompagne la note.(9)

L’histoire fait rapidement le tour des blogs et des médias et, après un pesant silence de quelques jours, la société incriminée suspend la production du cadenas défaillant, puis en offre le remplacement… une affaire qui lui coûtera la bagatelle de plusieurs 10 millions de dollars de pertes.

Résumons : le consommacteur #1 apparaît comme un militant du développement durable de la première heure ; le consommacteur #2, comme un vulgaire ersatz, un pur ectoplasme marketing.

Et le consommacteur #3, comme un citoyen lambda – ou presque – qui utilise au mieux les nouveaux outils technologiques dont il dispose : Stéphane n’embrasse d’autres causes que la sienne et ne se bat que jusqu’au jour où il obtient réparation ; par contre, les dégâts collatéraux apparaissent bien souvent irréversibles.

C’est pourquoi je ne parlerai plus de consommacteur le concernant, mais d’Empowered Consumer : un consommateur rendu plus puissant par les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ; et qui sait user de son nouveau pouvoir, les fameuses NTIC dont se gargarisaient les spécialistes de la Nouvelle Economie au plus fort de la Bulle Internet.

Bien sûr, dans la vie quotidienne, tout cela se traduit par des pratiques bien plus banales, mais irréversibles. Ainsi tous les ans depuis mon arrivée dans le groupe Thomson, j’étudie l’évolution des comportements d’achat des acheteurs de produits d’électronique grand public. Les premières années, la démarche apparaissait intangible : quelques visites en magasin, les tests de la FNAC, les éventuels conseils d’amis… avant l’ultime rendez-vous au cours duquel un vendeur adroit savait toujours guider leur choix dans le sens de ses propres intérêts.

Il y a deux à trois, tout a basculé : première étape, une recherche plus ou moins précise sur Internet pour découvrir… les prix les plus bas, puisque les comparateurs de prix apparaissent toujours en tête des sites référencés par Google. Seconde étape, on affine : tel téléviseur dispose de deux prises HDMI : c’est quoi, ça sert à quoi ? Et on repart sur Google, puis de forum en chat, on se fait une petite idée.

Dès lors, la visite en magasin change du tout : notre client exige les prix les plus bas, et le vendeur a beau argumenter – non seulement, il y a 4 prises USB, mais aussi une prise Firewire –, ce dernier n’en a cure. Pire, il saura lui démontrer que, franchement, la prise Firewire, elle ne lui servira pas à grand-chose : non, ce qu’il veut, c’est cet ordinateur-là, à ce prix-là. Point barre !

D’autant qu’il sait parfaitement que le vendeur est intéressé aux résultats, que son bonus dépend uniquement de certains produits, ceux à fortes marges, pour le distributeur s’entend ; de même qu’il décode parfaitement les campagnes publicitaires, sait discerner les gadgets marketing des réelles avancées techniques, etc. Il regarde la télévision : Culture Pub, Capital et autres émissions économiques.

Mieux informé, mieux outillé, l’Empowered Consumer s’est emparé du pouvoir : il n’est pas près de le lâcher !

Evidemment le marketing actuel est caduc : marketing is dead !

Cela ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras : cela signifie que plus rien ne sera comme avant. Et surtout que les entreprises qui tenteront de s’adresser à cet Empowered Consumer en croyant pouvoir lui parler le langage factice du consommateur #2 se préparent des lendemains difficiles.

L’Empowered Consumer n’est pas un nouveau subterfuge marketing : c’est une réalité forte, une équation nouvelle dont il faudra savoir tenir compte.

(1)www.familoo.com/familoo/RepFiles/3896536872/DevenezunConsommacteur.doc

(2)Naomi Klein : No logo.

(3)www.radio-canada.ca

(4)http://nikeid.nike.com/nikeid/

(5)http://www.strategies.fr/archives/1335_2/1335_203801/dossier_vous_avez_un_motif_.html

(6)François Laurent : La Grande Mutation des Marques High Tech.

(7)Bernard Cathelat : Les styles de Vie des Français.

(8)http://freepouille.blog.01net.com/

(9)http://www.engadget.com/

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Palo Alto et après… Systèmes instables et permanence

L’école de Palo Alto

On réunit sous ce vocable le groupe de chercheurs de multiples origines scientifiques réunis sous l’impulsion de Gregory Bateson dans cette petite ville de la banlieue sud de San Francisco pour jeter les bases d’une psychologie et d’une thérapeutique fondées sur l’analyse des relations interpersonnelles – et non sur celle des seuls individus, comme dans le cas de l’analyse Freudienne.

Pour Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don D. Jackson et leurs collègues, nous évoluons à l’intérieur de plusieurs systèmes différents qui se recoupent partiellement : famille, relations de travail, amis, etc. : « Dans une famille, le comportement de chacun des membres est lié au comportement de tous les autres et en dépend. Tout comportement est communication, donc il influence les autres et est influencé par eux »*.

D’un point de vue thérapeutique, impossible d’isoler un membre de sa famille pour le soigner, non seulement parce que sa maladie résulte de sa position au milieu des siens, mais parce qu’elle façonne leur existence même, d’où un équilibre difficile à rompre. Jackson « a observé que si l’état d’un malade s’améliorait, cela avait souvent des répercussions catastrophiques dans la famille du malade mental (dépressions, épisodes psychosomatiques, etc.) ; il a supposé alors que ces comportements, et peut-être tout aussi bien la maladie du patient, étaient des « mécanismes homéostatiques » qui avaient pour fonction de ramener le système perturbé à son état d’équilibre ».

Quatre principes fondamentaux caractérisent les systèmes sociaux. Celui de totalité les distingue de simples agrégats d’individualités indépendantes : « Les liens qui unissent les éléments d’un système sont si étroits qu’une modification de l’un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du système entier ».

Celui de rétroaction dépasse la simple notion de feed back en inscrivant chaque action au centre d’une chaîne infinie de réactions, positives – et c’est l’effet boule de neige, chaque réaction gagnant en intensité par rapport à la précédente –, ou négatives – par soumission d’un individu à l’autre.

Celui d’homéostasie : tout système s’autorégule selon un équilibre qui lui est propre ; toute action tendant à une modification de cet état de stabilité entraînera ipso facto un ensemble de réactions destinées à le restaurer : la guérison d’un membre de la famille déclenche la maladie d’un autre.

Celui d’équifinalité enfin souligne la prééminence du système : des causes initiales identiques peuvent déclencher des résultats différents, de même que des causes initiales divergentes peuvent aboutir au même résultat, le but ultime consistant en la conservation du système.

Chaque individu participe donc de plusieurs systèmes qui se chevauchent plus ou moins. Son comportement pourra différer d’un système à l’autre, puisque ses actes dépendent de la relation qu’il entretient avec les autres membres du groupe concerné : tel employé de bureau docile se révélera un mari autoritaire à la maison, et un agréable compagnon à l’heure de l’apéritif.

Enfin d’éventuelles interactions entre systèmes voisins sont possibles : un individu refusera d’acheter le manteau que lui conseille son épouse, quitte à se le voir reprocher plus tard, par peur de paraître ridicule au bureau ; bien des familles se composent de groupes hétérogènes, physiquement très éloignés, et n’interagissant entre eux que par l’intermédiaire des éléments les plus mobiles.

Palo Alto, du 19ième au 20ième siècle

Deux traits fondamentaux caractérisent les systèmes dévoilés par Palo Alto : leur permanence et leur ouverture.

Permanence – Le fondement même de la théorie : les quatre principes de base, codifiés avec précision – totalité, rétroaction, homéostasie, équifinalité –, ne visent qu’à la permanence des communautés. Que leurs membres ne les respectent pas et tout s’écroule : imaginez un bureau où un employé s’ingénie à réfuter l’autorité de ses supérieurs – à la porte ! imaginez une société où l’autorité des dirigeants se trouve sans cesse remise en cause – c’est la faillite assurée !

Evidemment la pression qui pèse sur chacun des participants apparaît immense : impossible parfois d’exprimer de sincères opinions, de répliquer trop instinctivement, ou inversement de réprimander ; d’où parfois des actes manqués qu’il conviendra de négliger, des non dits par trop loquaces, voire des agressions indirectes – le petit nouveau qui « flingue » à tout va, juste pour briller…

Ouverture – Heureusement, nul ne se retrouve enfermé au sein d’un seul système : nous naviguons avec (plus ou moins grande) aisance d’une communauté à l’autre, quittant notre bureau pour le restaurant où nous attendent des amis, retrouvant avec joie le soir notre famille, etc. Et même dans la société où nous travaillons, nous pouvons nous évader quelques instants de notre service pour échanger avec des collègues d’un autre département.

Souvent, des systèmes se désagrègent, parfois brutalement, parfois insidieusement : nous démissionnons de notre job « parce que nous avons besoin d’un peu d’air frais » – mais le système s’adaptera, il survivra sans nous en embauchant un remplaçant. Un ménage sur deux divorce à Paris, mais la mésaventure sera d’autant mieux surmontée que les autres systèmes où nous nous mouvons – travail, amis, famille, etc. – nous soutiendront… en fait, qu’elles nous assurerons une permanence transitoire là où une communauté explose.

L’ouverture entre système assure donc la permanence de l’ensemble.

Les communautés de la France paysanne du 19ième siècle respectaient les même principe de totalité, rétroaction, homéostasie et équifinalité – condition sine qua non de leur permanence : et en ce sens, l’analyse de Palo Alto s’enracine dans une très longue tradition.

Par contre, l’ouverture faisait le plus souvent cruellement défaut – cruellement à nos yeux, s’entend. Difficile de quitter son village, sinon sans espoir de retour, ou pour de longues périodes, équivalent plus à des ruptures qu’à des ouvertures : quand le conscrit partait à l’armée, il ne naviguait pas d’une communauté – son village – à une autre – l’armée – mais quittait temporairement un système pour un autre : il ne pouvait récupérer le soir au sein de sa famille des brimades de son adjudant.

La vie de village était codifiée à l’extrême, l’autorité – les autorités – en régentant le quotidien : maire, curé, instituteur imposaient un ordre très strict que tous respectaient sous peine de se voir imposer la pire des exclusions – l’exclusion de la communauté à l’intérieur de la communauté elle-même.

L’extrême stabilité de tels systèmes ne peut qu’en renforcer l’oppression. Autre type de système fermé, le pensionnat, pétrifiait les adolescents qui le fréquentait, les maîtres d’internat organisant la répression contre toute forme de rébellion ; mêmes remarques pour le service militaire, etc. Car nul besoin de souplesse ici pour conserver son pouvoir – de quasi droit divin – et ses ouailles : nul ne peut réellement s’échapper, sinon définitivement.

Le 20ième siècle, avec le développement des communications – routes, voiture, train, avion, métro, etc. – et des télécommunications – téléphone fixe, puis mobile, la radio hier, Internet aujourd’hui – a considérablement favorisé l’ouverture des systèmes, optimisé le passage inter structures. Et ce faisant, considérablement renforcé la permanence des systèmes élémentaires – l’entreprise, la famille, les cercles d’amis – et celle surtout celle du système d’ensemble – la société où nous vivons, notre civilisation.

Palo Alto et après

Un blog constitue-t-il la base d’un système – dans l’acception de Palo Alto s’entend ?

Celui-ci, plus ou moins. Du moins, tant que je m’en occuperai activement et en garantirai de mon mieux la permanence. Il s’inscrit au cœur d’une communauté d’amis, qui partagent peu ou prou ma vision de la société de consommation, du marketing, de la communication ; avec certains d’entre eux, nous souhaitons même ambitieusement jeter les bases d’un nouveau marketing – ou plutôt d’un Post Marketing.

La rétroaction demeure encore pauvre, de même que l’équifinalité, mais elles existent : quand un internaute poste un commentaire, il y a bien rétroaction ; quand un autre attache l’adresse de son propre blog à une réplique lapidaire, il y a bien équifinalité : il ne me répond pas, il ne cherche qu’à capter une part de l’audience.

Mais que dire des millions de blogs d’adolescents qui fleurissent continuellement sur Skyrock ?

D’aucuns les comparent à autant de journaux intimes soudain portés sur la place publique – un comble pour des journaux intimes ! Et pourtant, ce n’est pas totalement faux : on pourrait croire à un réseau d’échanges entre copains ; sauf que chacun aura le sien, que les frontières se révèlent extrêmement floues, les interactions chaotiques, et que tout cela ne s’inscrit que dans une très hypothétique durée.

Les blogs bafouent les fondamentaux de Palo Alto ; les SMS également : « Envoyer un SMS, c’est juste dire à un copain que je pense à lui sans avoir besoin de l’entendre me répondre : moi aussi », commentait récemment un jeune : le SMS fonde la communication asynchrone, sans immédiate rétroaction – et c’est une des clefs de son succès.

Et les flash mobs ? Un flash mob, c’est une sorte d’happening improbable : 50, 100, 200 personnes qui ne se connaissent pas, ne se reverront peut-être jamais, et qui se retrouvent soudain en un même lieu pour exécuter la même action totalement inutile au même instant : applaudir pendant 30 secondes, regarder en l’air. C’est parti de New York, on en a vu à Boston, Minneapolis, San Francisco, avant de débarquer à Rome, Londres et Paris où quelques cent personnes ont brandi des panneaux représentant d’immenses lunettes de soleil.

En d’autres termes, apparaissent de nouveaux systèmes réfutant toute idée même de permanence.

Permanence dans la non permanence

Se dirige-t-on vers une civilisation de la non permanence, de l’éphémère, du transitoire, de l’instable ? Vers une société asystémique – une non société, en quelque sorte ?

Inutile de consulter sa boule de cristal, l’horizon temporel à envisager serait bien trop vaste : de tel bouleversements embrassent des dizaines, voire des centaines d’années – même au siècle d’Internet. Même à ne considérer que les jeunes générations, les plus aptes à tout chambouler : ainsi même si ces derniers rejètent de plus en plus les marques, montrent une sensibilité exacerbée à l’éthique, il n’en demeure pas moins que, même parmi eux, les marques occupent une part de marché supérieur aux non marques ; et que le commerce équitable demeure marginal.

Et puis, des étapes transitoires apparaissent nécessaires. Prenons justement l’exemple des marques et des non marques : de plus en plus de consommateurs acceptent d’acheter des produits de marques inconnues… mais dans des enseignes connues ; ou sur Internet… des produits de marques connues. Peu ont franchi totalement le pas pour se lancer dans l’inconnu, même si le mouvement paraît inéluctable.

La non permanence s’est révélé en fin de vingtième siècle par le développement de structures d’accueil transitoires, comme le Point Ephémère, quai de Valmy à Paris : « Ce centre de dynamiques artistiques a ouvert le 13 octobre 2004 pour une durée de vie programmée de 4 années. Il met en place les moyens nécessaires à la résidence d’artistes (plasticiens, musiciens, danseurs, scénographes) et des outils de reconnaissance publique de leur travail »**.

Les artistes qui transitent dans ces lieux espèrent que leur œuvre, elle, s’inscrira dans la durée.

Se développe aujourd’hui une autre forme de non permanence, fondée à l’inverse sur des espaces stables accueillant des systèmes instables : la plate-forme Skyblog héberge aujourd’hui plus de 4 millions de blogs – plus de 4 millions de systèmes de communication asynchrone, totalement erratiques, et plutôt réservés aux adolescents. Mais pour les adultes ?

« Vous voulez monter le blog de votre rue, trouver une baby-sitter, disputer un match de foot amateur, apprendre à cuisiner thaï, organiser un bœuf avec les musiciens du quartier, trouver quelqu’un pour réparer votre ordinateur ? » : rendez-vous sur peuplades.net. Le site constitue la structure d’accueil stable et permanente d’une kyrielle de communautés plus ou moins éphémères, plus ou moins structurées, plus ou moins spontanées, plus ou moins publiques – du plus sérieux : Soutien scolaire dans le 18ième arrondissement, au plus futile : Happening « Pique-Nique Géométrique au Champ de Mars ».

Avec cet Happening, nous glissons vers le flash mob déjà évoqué et peuplades.net évoque alors ici parismobs.free.fr, flashmob.com et autres flash-mob.de, avec encore plus de spontanéité – la plate-forme accueille tout groupement, sans a priori – et d’éphémère – éventuellement, rien n’étant défini par avance et codifié comme tel par le site.

Nous pourrions également évoquer le succès de La Nuit Blanche, à Paris, puis dans d’autres capitales, la mairie de la capitale, structure pérenne, favorisant l’émergence d’événements nécessairement provisoires.

Structures permanentes versus communautés instables

Autorité et codes ont longtemps assuré la permanence et la survie des systèmes fermés de civilisations essentiellement rurales ; l’ouverture entre systèmes, propre à la civilisation du 20ième siècle, en garantit la stabilité et la continuité tout en levant considérablement les contraintes liées à l’autorité et aux codes.

Aujourd’hui, nous basculons dans une civilisation où cette notion même de permanence devient moins centrale – une civilisation qui ne se fonde plus sur une nécessaire stabilité, d’où le développement exponentiel de modes de communications asynchrones : SMS, blogs, e-mails, etc.

En cette période nécessairement incertaine, se développent des pratiques transitoires, liant la stabilité d’un espace – même virtuel – et la fugacité de pratiques : là réside un champ d’investigation capital pour anticiper ce que sera la société de demain.

* Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don D. Jackson : Une logique de la communication, Editions du Seuil, 1972.

** http://www.pointephemere.org/index.html

*** http://www.peuplades.net/paris/

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La communication en synapse : vers un citoyen ni global, ni local.

La globalisation du consommateur peut s’envisager d’un point de vue purement mécanique : pour des économies d’échelle évidentes, les produits deviennent mondiaux, et par voie de fait les citoyens achètent les mêmes écrans LCD au Japon, en France ou au Mexique, mangent les mêmes hamburgers à Paris, Séoul ou New-York ; et dans toutes les rues du monde, ils téléphonent avec les mêmes appareils fabriqués en Corée ou en Chine.

Pourtant, là ne résident toujours pas les clefs du succès : Mac Donald en France a dû compléter ses menus de salades, mieux adaptées aux goûts hexagonaux. Plus récemment, les opérateurs de la téléphonie mobile ont découverts que les usages fondaient plus l’innovation que les technologies elles-mêmes, d’où l’échec du WAP en France, versus l’insolent développement de l’i.Mode au Japon : si les produits s’internationalisent rapidement, il n’en va pas de même des usages.

Autre vecteur très souvent avancé de la globalisation de notre société : les marques. Sans même approfondir le rejet théorique et éthique tels qu’ils émergent de plus en plus, et parfois violemment, tant dans les démarches des groupes d’opposants à la publicité ou dans No Logo*, nous ne pouvons que constater l’immense reflux des marques dans des secteurs aussi divers que le high tech ou l’alimentaire, où non maques et produits premier prix grignotent inlassablement les parts de marchés des marques leaders.

Dernier vecteur que nous envisagerons – sans recherche d’exhaustivité –, les réseaux de communication, et au premier rang d’entre eux, Internet : force est de reconnaître que si ces derniers n’ont – et ne sauraient avoir – d’existence que mondiale, leur utilisation ne milite pas nécessairement dans le sens d’une globalisation de la consommation. Nike notamment en a fait ces dernières années la cuisante expérience, passant de sa position de marque statutaire des jeunes à celle de punching ball, après son interpellation quant à son emploi d’enfants chinois.

Il semblerait donc que notre société – ou du moins les jeunes générations – s’oriente plus vers une globalisation du rejet, sinon du global, du moins du globalisateur. Pour comprendre ce reflux « vécu » du mondial par rapport à sa réalité concrète – nul ne saurait remettre en cause un tel état de fait –, il convient de se pencher sur les modes organisationnels de nos sociétés en matière de communications interpersonnelles.

Une des analyses les plus pertinentes pour expliquer à la fois la structure des sociétés occidentales du siècle dernier et l’explosion d’Internet, est celle de l’école de Palo Alto**. Pour Paul Watzlawick et ses confrères, nous interagissons tous au sein de plusieurs systèmes relationnels régis par les quatre principes de totalité, rétroaction, homéostasie et équifinalité ; ces systèmes sont qualifiés d’ouverts en ce sens nous naviguons sans cesse d’un système à un autre : notre famille, nos amis, notre travail, etc.

C’est essentiellement l’urbanisation qui a permis le développement d’une telle organisation sociétale : les villageois de la fin du dix-neuvième siècle vivaient en des systèmes quasiment fermés. Dans un village, tout ce sait, toute action individuelle influe sur, et est influencée par, la communauté : soit on accepte les codes rigides, soit on s’en exclue, sans aucune solution intermédiaire.

La ville constitue le lieu idéal de développement des systèmes ouverts : contrairement au village, espaces de travail, de loisirs, de vie, etc., peuvent se déconnecter les uns des autres, et chaque individu peut évoluer librement de l’un à l’autre ; il peut même changer de personnalité de l’un à l’autre : méthodique au travail, convivial entre amis, autoritaire avec les siens, etc. Les moyens traditionnels de communication – voiture, métro – et de télécommunication – téléphone – ont ensuite favorisé la mutation.

Internet dilate les groupes à l’extrême, certains n’existant même que dans la virtualité : forums, chats. Sans nécessairement conduire au syndrome des personnalités multiples ou à la schizophrénie, l’anonymat autorise l’adaptation souple des citoyens aux communautés au sein desquelles ils s’inscrivent au gré de leurs choix.

Mais aujourd’hui, apparaissent de nouveaux modes de communication qui remettent totalement en cause l’analyse de Palo Alto : des systèmes non plus seulement ouverts, mais totalement déstructurés ne répondant plus aux quatre principes de totalité, rétroaction, homéostasie et équifinalité.

Dans un système ouvert, tout comme dans un système fermé, les participants respectent un certain nombre de règles précises, qui déterminent en fait leur appartenance à un groupe social particulier : si dans un système fermé, elles apparaissent totalement incontournables – puisqu’il n’existe aucune solution hors du groupe –, au contraire dans un système ouvert, leur observation se révèle souvent plus souple, l’exclusion du groupe ne constituant plus un danger si élevé.

Les blogs journalistiques ne diffèrent pas réellement du modèle, ne serait-ce que parce qu’y demeure un certain contrôle. Ce qui n’est plus nécessairement le cas des trois millions de blogs d’adolescents qui se sont récemment développés sur le site de Skyrock en France : les contours en sont flous – tout inconnu peut s’inviter au sein de ce qui ressemble pourtant plus à cercle privé qu’à un site institutionnalisé, ou du moins simplement public.

Aujourd’hui, parmi les jeunes Européens, se développent deux systèmes relationnels totalement opposés. Essentiellement dans les banlieues des grandes conurbations, se renforcent des tribus au fonctionnement assez proche de celui des villages, où chacun cherche à rester en étroit contact avec les autres membres de son groupe : d’où ces jeunes qui se téléphonent d’une salle à l’autre des complexes cinématographiques pour commenter les films qu’ils regardent et inviter leurs amis à les rejoindre.

Pour ces jeunes, les marques jouent un grand rôle identitaire, définissant l’appartenance à son clan, et des leaders comme Lacoste ont souffert de devenir l’emblème de certains d’entre eux ; d’où le succès plus récent de Com8, la marque de Joey Starr. Pour eux, par contre, la mondialisation ne constitue qu’une donnée abstraite et lointaine, tout au plus une contrainte économique qui les rejette dans le chômage, et les referment sur leur tribu.

Inversement, la grande majorité des jeunes – et notamment tous ceux qui maîtrisent parfaitement les nouveaux outils de communication – cassent les systèmes relationnels actuels, pour développer des organisations totalement déstructurées : ici, le groupe devient filandreux, s’organise autour de chaque individu comme les neurones déploient leurs synapses ; et sur le même modèle, les relations qui s’établissent peuvent se renforcer ou s’amoindrir au fil du temps, sans réelles conséquences.

Pouvons-nous pour autant parler de comportement de citoyen mondial dans ce dernier cas ? En fait, il ne semble pas quelque spatialisation joue ici : les encyclopédies Wiki étendent leur ramifications aux quatre coins de la planète tandis que les blogs ne dépassent pas nécessairement les limites d’un quartier, mais dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit que du prolongement de mon système relationnel personnel, sans plus ; et si l’espace ne constitue plus une contrainte, il apparaît plutôt comme un paramètre secondaire.

Pour passer enfin du citoyen au consommateur, il convient de s’interroger sur la notion fondamentale de marque : or cette dernière ne joue plus aucun rôle identitaire dans un système ultra-ouvert et déstructuré, puisque plus personne ne revendique son appartenance à quelque groupe que ce soit. Et ce tant dans le monde virtuel d’Internet que dans le concret des cours de lycée : les grandes marques mondiales laissent peu à peu la place à d’autres, moins connues, voire disparaissent totalement face à l’anonymat d’un jean acheté aux puces !

* Naomi Klein, No logo – La tyrannie des marques, J’ai Lu, 2004.
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Paul Watzlawick et al., Une logique de la communication, Seuil Points Essais.

 

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