Interviews Archives - Marketing is Dead
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Interviews

Marketing et sobriété : rencontre avec Gaël Queinnec

Consommer moins pour consommer mieux : par conviction ou par obligation, la sobriété s’impose aux consommateurs ! Mais comment le marketing saura-t-il répondre à ces nouvelles exigences sociétales ?

Ce sera le thème de matinée organisée le Pole Prospective de l’Adetem le 3 Octobre prochain (inscriptions ici) ; en avant-première, un des intervenants, Gaël Queinnec, Directeur de la Prospective de Michelin, répond à nos questions.

Question : Volontaire ou subie, la sobriété s’impose dans la consommation des Français : comment percevez-vous cette nouvelle tendance ?

Gaël Queinnec : Le marché du pneu, qui n’est pas franchement un achat glamour, est plutôt celui du juste nécessaire. Voire même en deçà du nécessaire, les pneus lisses restant une cause majeure d’accidents en France. Donc nous nous sentons à l’abri de la surconsommation compulsive. Mais la tendance nous semble à la fois forte et générale, et dans les biens utilitaires comme le nôtre, elles se traduit par une attente sociétale (prochainement une obligation légale ?), d’accompagnement des cibles vers la consommation raisonnée. Aujourd’hui un produit est accompagné d’une notice sécuritaire, demain cette notice sera aussi planétaire : comment prolonger la durée de vie, maîtriser son usage, etc.

Question : Et comment vous adaptez-vous, voire la mettez-vous en œuvre dans votre entreprise ?

Gaël Queinnec : Pour ce qui concerne strictement notre produit phare, le pneu, nous sommes historiquement positionnés sur la durée de vie. Il nous suffira donc d’en parler plus fort. Mais nous sommes aussi l’accessoire d’un produit, la voiture, qui ne s’inscrit que très marginalement dans une logique de sobriété et consomme de plus en plus de planète pour un même service, même si sa consommation d’énergie à iso-masse diminue, entre autres grâce à des pneus de haute technologie.

Ce paradoxe anime beaucoup de débats internes, qui sont loin d’être tranchés. Quand quelqu’un utilise un SUV de 2 tonnes pour faire un trajet solitaire en ville que d’autres font avec une citadine d’une tonne, notre responsabilité peut-elle s’arrêter à contribuer à réduire la consommation du SUV ? Ou devrait-on œuvrer pour diminuer ces cas d’usages questionnables ? Si oui, comment et de quel droit ? Et si pour d’autres usages le SUV est justifié, faut-il alors inciter à utiliser 2 véhicules différents, ce qui serait environnementalement bien pire ? Je viens aussi à cette table ronde pour chercher des éléments de réponse !

Métavers : à vos marques, foncez !

Directeur de l’innovation et de la transformation digitale dans le secteur de la banque et de l’assurance, et déjà auteur d’Innover ou disparaître, Olivier Laborde vient de publier avec Eloïse Bussy, Social Commerce. Réseaux sociaux, gaming, métavers : à vos marques, foncez !

Rencontre avec l’auteur, qui sera aussi un des invités du Pole Prospective de l’Adetem le 18 avril à 9 heures – inscription bientôt en ligne ici – où il nous parlera des startups rencontrées au CES de Las Vegas.

MarketingIsDead : Tu publies un livre sur le social commerce … mais le social commerce, ça ne marche pas vraiment, et Meta rétropédale …

Olivier Laborde : En effet, mon dernier livre traite du social commerce et de l’opportunité pour les marques de faire du business sur les plateformes sociales.

Pour mieux cerner l’éventuel écart de perception, commençons par dire que le social commerce est le fait d’utiliser des médias sociaux pour vendre des produits et services, en utilisant les boutiques de ces réseaux et autres solutions d’achat natives. Jusque-là cantonné aux réseaux sociaux, nous élargissons son périmètre à l’ensemble des plateformes sociales, c’est à dire au gaming et aux métavers.

Au contraire de ton affirmation, cela marche plutôt bien sur le volet du commerce sur les réseaux sociaux si l’on en croit les chiffres ! Les ventes de commerce social auraient atteint 492 milliards de dollars dans le monde en 2021 selon Accenture, et 727,6 milliards en 2022 selon Statista.

Le social commerce sur le gaming est encore jeune, celui sur les métavers se développera lorsque ces plateformes deviendront matures.

MarketingIsDead : Tu pointes le Métavers comme nouvel horizon pour le social commerce : mais le Métavers, ce n’est pas juste un toilettage de Second Life, une fuite en avant, sans réel avenir ?

Olivier Laborde : Comme je l’ai indiqué, les métavers sont des plateformes sociales émergentes, elles font le buzz mais il faudra plusieurs années avant que l’usage devienne mainstream. Le métavers est un jeu à long terme.

Second Life était peut-être un métavers 1.0. La différence est qu’aujourd’hui les technologies sous-jacentes au métavers arrivent à maturité. La technologie graphique et la connectivité internet ont considérablement progressé depuis. L’illusion d’un monde vivant et immersif est plus convaincante et les activités proposées se rapprochent de l’expérience dans le monde réel. Par ailleurs, la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont gagné en maturité et deviennent « mainstream » en possibilité d’usage avec de nombreuses applications pour le grand public.

Nous passons en moyenne 2h30 par jour sur les réseaux sociaux, nul doute que nous passerons du temps dans les métavers qui sont un internet immersif et en 3D. Selon Gartner, d’ici 2026, 25% de la population passera au moins une heure par jour dans le métavers pour le travail, le shopping, l’éducation, les activités sociales et/ou les divertissements.

MarketingIsDead : Alors, finalement, quel pourrait être la voie ultime pour faire du business sur le Web ? A quoi ressemblera l’Amazon de demain ?

Olivier Laborde : Les marques doivent viser à offrir une expérience sociale unique et agréable qui suscite des émotions. Les innovations telles que la personnalisation, les interfaces conversationnelles, la vidéo, la gamification et les nouveaux territoires d’expression comme les jeux et les métavers sont essentielles pour créer des expériences engageantes qui transforment les clients en consommateurs fidèles et en défenseurs de la marque.

Les marques qui souhaitent toucher un nouveau public de manière efficace disposent de nouveaux espaces d’expression et de séduction. Jeux vidéo et métavers pourraient être les nouveaux Eldorados des marques.

Pour réussir dans ces nouveaux espaces, les marques devront être authentiques et créatives, car les utilisateurs interpelleront les marques qui se trompent. Elles ne pourront pas faire de la publicité dans une communauté comme Fortnite sans autorité, surtout si la marque n’est pas endémique.

Au final, les marques devront proposer du « shoppertainment » un concept innovant qui combine deux activités en une seule : faire ses courses (shop) et se divertir (entertainment).

Rencontre entre un créateur de marque et une AI

A l’heure de ChatGPT, peut-on encore envisager la création de marque comme … l’an passé, quand l’AI ne se positionnait pas encore en challengeur des créatifs : j’ai posé la question à Marcel Botton, le fondateur de Nomen.

MarketingIsDead : Marcel Botton, tu as fondé Nomen, agence de création de marque, en 1981 : depuis, la profession a beaucoup évolué ?

Marcel Botton : La profession de « Nominateur » a bien évolué au cours de ces dernières années. Il convient aujourd’hui de prendre en compte les noms existants de domaine, bien sûr, mais aussi les noms d’applis, de blogueurs, d’avatars, etc. La dématérialisation a accru l’extension géographique des noms et marques, d’où la nécessité de maîtriser encore mieux les évocations dans les différentes langues, ce qui nous a amené à renforcer encore l’importance de notre réseau de validation culturelle : plus de 100 pays aujourd’hui !

Un corollaire de ce qui précède est que se développent de plus en plus aujourd’hui des marques sans signification précise, mais constituées de mots courts, souvent 4 lettres, pouvant s’écrire directement dans le logo de l’appli, et faciles à prononcer dans les principales langues. Avec souvent des lettres un peu rares, X, W, Z, Y, K, compte tenu du relatif encombrement !

MarketingIsDead : Aujourd’hui, de nouveaux challenges pointent le nez, avec notamment l’arrivée de l’AI et des systèmes comme ChatGPT …

Marcel Botton : L’arrivée de l’intelligence artificielle, que nous utilisons déjà, va libérer du temps de nos équipes, pour leur permettre de se consacrer à ce que les AI ne savent pas faire aujourd’hui : imaginer des territoires de marques innovants, explorer des champs de création vierges. Il en va de la création verbale comme de la création visuelle, la formidable puissance des AI leur permet de faire du « à la manière de … ». Mais elles ne savent pas créer une nouvelle disruption, ce qui reste aujourd’hui le territoire des créateurs. »

MarketingIsDead : Ces systèmes fascinent certains, effraient d’autres : en dépassant le seul cadre du marketing, ils posent de multiples problèmes éthiques …

Marcel Botton : Quant à l’éthique des IA, il est clair que ce sujet est central aujourd’hui. Chez Open AI, l’éthique est l’objet d’une super vigilance, au point qu’il est impossible d’obtenir par exemple de DALL-e, leur créateur AI d’images, une simple caricature de Macron, alors qu’on peut obtenir celle d’Abraham Lincoln. Chez Alphabet-Google, il se dit que c’est par crainte de problèmes éthiques que leur AI n’est pas encore en ligne. Par crainte d’immoralité, on risque de censurer l’impertinence. Peut-être que le fameux test de Turing, permettant de distinguer un logiciel d’un humain, pourra être validé par des questions immorales ? Les mois à venir s’annoncent passionnants.

Raison d’être, raison d’y être, raison d’en être

Jean Watin-Augouard vient de publier : Raison d’être, raison d’y être, raison d’en être, sous-titré de manière plus explicite : « Conjuguer la raison d’être de l’entreprise avec la vocation de ses salariés » ; petite rencontre avec un « historien des entreprises et des marques », comme il se définit lui-même.

MarketingIsDead : Face à la multiplication des crises actuelles – épidémies, changement climatique, pénurie énergétique, etc. – tu évoques « la prise de conscience d’un destin commun à l’humanité [qui] conduit les entreprises à ne plus se considérer comme une partie du problème, mais comme une partie de la solution » : peux-tu préciser ?

Jean Watin-Augouard : L’entreprise, hier vouée aux gémonies, longtemps associée aux méfaits du capitalisme financier, « exploiteur », « prédateur », « destructeur », trouve, aujourd’hui, si ce n’est ses lettres de noblesse, du moins celles de sa responsabilité. Responsabilité à géométrie variable qui porte aussi bien sur les hommes, ses produits, la société, la nature… Les mots positifs ne manquent pas qui la qualifient d’entreprise « humaniste », « citoyenne », « engagée », « durable » loin d’être des oxymores. RSE devient un acronyme que ses seules lettres suffisent à comprendre. C’est par ses « impacts » – mot un peu galvaudé car mot devenu mot valise – que l’on mesure dorénavant comment et pourquoi l’entreprise est « une partie de la solution ». On va jusqu’à proposer, après les Nutri-Score et autre cosmeto-score, un impact-score[1].

D’un mal nécessaire l’entreprise serait-elle devenue un bien utile ? Il suffisait, pour s’en convaincre, d’assister récemment à quelques ateliers proposés par le salon Produrable. Où les entreprises, aussi bien de production que de services, rivalisaient d’innovations portant qui sur la biodiversité dans la chaîne de valeur, qui sur la nouvelle gouvernance associant RSE et finance, l’économie circulaire…Hors de l’entreprise, point de salut ? Prenons garde au greenwashing et autre purpose lui aussi washing. Certains étudiants ne si trompent pas qui flairent la supercherie, duperie qu’ils dénoncent dans leurs discours lors des remises de diplômes[2]. Récemment, on pouvait lire dans Les Echos ces mêmes étudiants prévenir « Nous ne travaillerons plus pour Total, sauf si… »[3] L’entreprise, une partie de la solution ? Oui mais pas n’importe laquelle avec n’importe quelle entreprise chez qui on viendrait… par hasard !

MarketingIsDead : On aurait interrogé n’importe quel patron il y encore 20 ans sur la finalité de son entreprise, il n’aurait pas hésité à répondre : gagner de l’argent. Aujourd’hui, les choix apparaissent plus vastes : » Doit-elle être une entreprise à profit comme l’intimait Milton Friedman ? Ou être une entreprise à mission comme le suggère Pascal Demurger, directeur général de la Maif ? Ou les deux et pour quel bien commun ? » C’est quoi, finalement, le bon choix aujourd’hui ?

Jean Watin-Augouard : De fait, et sans remonter au temps du paternalisme et du capitalisme industriel, quand quelques grands patrons (les Menier, Peugeot, Schneider…) se préoccupaient du sort de leurs ouvriers en mettant en place les lotissements d’ouvriers et les premières assurances sociales, aux origines de notre Sécurité sociale, il fut un autre temps, plus récent, celui du capitalisme financier qui plaçait le profit au cœur du réacteur. Le « théorème » d’Helmut Schmidt, chancelier d’Allemagne (alors de l’Ouest) « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain » venait justifier la finalité de l’entreprise intimée par Milton Friedman.

Mais les temps changent et le capitalisme semble de nouveau muer : industriel (début du 20ème siècle), managérial (années 1950), et financier (années 1980), il serait devenu responsable, humaniste ! Comme en témoigne le nouveau théorème d’Emery Jacquillat, pdg de la Camif : « Le renoncement d’aujourd’hui est le profit de demain ». Il le prouva en étant le premier à renoncer au Black Friday et ses juteux profits d’un jour – son meilleur jour de ventes annuelles – pour ceux, plus importants, des jours et années suivantes. Il lança, ce même jour, 23 novembre 2017, le concept du renoncement responsable et profitable en fermant son site internet aux promotions massives. Depuis, plus de 1 000 sites ont suivi le mouvement baptisé « Make Friday green again ». Au reste, n’est-il pas co-fondateur de la Communauté des entreprises à mission, qu’il préside ! Qu’elle soit entreprise « à mission » – 750 en octobre 2022 – ou labellisée « b corp », l’entreprise n’est-elle pas d’abord une communauté de destin, animée tous les jours par les hommes et les femmes qui construisent un futur « souhaitable » ?

MarketingIsDead : Tu écris : « Il n’est de raison d’être de l’entreprise sans raison d’y être des salariés par leur présence physique dans les bureaux et usines et d’en être par leur présence mentale, leur engagement, leur appropriation de sa raison d’être » ; et plus loin qu’il faut « replacer l’humain au cœur de cette transformation » : c’est nouveau cette prise de conscience de l’importance du capital humain ?

Jean Watin-Augouard : Le concept de « capital humain », de « ressource humaine », trouverait son origine, selon Johann Chapoutot, dans le nazisme et plus particulièrement dans la méthode de management, dite « de Bad Harzburg », de l’ancien général de la SS Reinhard Höhn, fondateur, dans les années 1950, d’un institut du management qui, jusqu’en 2000, dispensera ses méthodes à 700 000 cadres des plus grands groupes industriels.

Je préfère le concept de « vocation », levier d’une transformation managériale radicale, l’entreprise devenant un possible creuset de révélation et d’accomplissement de la vocation de ses salariés. Celle-ci s’entend comme raison d’être ou finalité de la personne sur Terre, fil conducteur qui relie ses actes, ses engagements tout au long de sa vie et leur donne sens. Pour l’heure, le salarié qu’on nomme « collaborateur » quand il n’est que « subordonné » est toujours dans un lien juridique de…subordination. Son employeur a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution et de sanctionner ses manquements. Il peut lui imposer un lieu et une durée de travail. Comment dès lors attirer les jeunes, les recruter, les engager quand leurs attentes portent sur davantage d’autonomie, de responsabilité, de forces de proposition ! Le rapport de force employeur/employé change au profit du second. Le pacha du navire et celles et ceux qui travaillent dans les salles des machines sont désormais engagés pour relever ensemble les nombreux défis environnementaux.

MarketingIsDead : Devant une foule de patrons incrédules lors des Assises nationales du CNPF de 1972, Antoine Riboud déclare : » Nous devons nous fixer des objectifs humains et sociaux, c’est-à-dire : d’une part, nous efforcer de réduire les inégalités excessives en matière de conditions de vie et de travail ; d’autre part, nous efforcer de répondre aux aspirations profondes de l’Homme et trouver les valeurs qui amélioreront la qualité de sa vie en disciplinant la croissance. Il conviendra ensuite d’appliquer ces valeurs dans la vie collective et dans la vie de l’entreprise ». En avance de 50 ans, Antoine Riboud?

Jean Watin-Augouard : Preuve qu’il était visionnaire et que son discours est plus que jamais d’actualité, il est cité par Antoine de Saint Afrique, l’actuel directeur général de Danone. Ce 25 octobre 1975, les patrons du CNPF furent tétanisés, sourds aux aspirations des salariés et aux enjeux sociétaux ! Pour conjurer leur conservatisme, et devant leur peu de foi, d’enthousiasme et d’engagement, il créa, en 1970, là aussi en visionnaire, avec son compère François Dalle, alors Pdg de L’Oréal, l’association Entreprise et Progrès toujours active. Je retiens, en particulier de son discours, cet appel à l’espérance : « N’oublions pas que si les ressources d’énergie de la terre ont des limites, celles de l’Homme sont infinies s’il se sent motivé ». 


[1] Pascal Demurger, dg de la Maif.

[2] AgroParisTech, Centrale Supélec, École polytechnique, HEC Paris, Essec.

[3] 14 octobre 2022.

Pour une plus grande sobriété dans les insights

Charlotte Taupin et Clémentine de Beaupuy viennent de lancer Sugi Research avec pour claim : « Augmenter la durée de vie de vos études » ; rencontre avec Charlotte Taupin.

MarketingIsDead : Tu préconises une consommation plus sobre des études marketing : le concept est tendance … mais, concrètement, ça veut dire quoi ?

Charlotte Taupin ! Aujourd’hui, dans tous les domaines, les entreprises cherchent à développer de nouveaux modèles de création de valeur, en tenant compte de l’environnement notamment, mais aussi de la durabilité, du partage et une meilleure utilisation des ressources. C’est l’idée d’un changement de pratique, de regard, d’usage qui est en jeu. Que tout le monde s’y mette ! Et c’est sûrement là la clef de la transformation. Dans le domaine des Etudes, nous sommes aussi concernés.

D’ailleurs, la récente loi PACTE du gouvernement, va dans ce sens : l’économie responsable désigne tous les acteurs économiques qui se sont emparés des moyens et des objectifs de l’économie sociale et solidaire pour donner un impact environnemental et social positif à leur activité.

Selon moi, adopter un comportement raisonné dans le domaine des études marketing et de la data, c’est créer une boucle de valeur favorisant un meilleur usage et une meilleure circulation de la donnée et des insights.

Concrètement cela signifie :

  • Mieux produire : acheter en exploitant au maximum la connaissance acquise au sein de l’organisation (toutes les sources de données) et en dehors (open source, publications, autres études, …). Cela ne veut pas dire faire moins d’études, mais simplement les envisager différemment. Toute question des départements marketing, communication et même du comex ne devrait pas déboucher forcément sur une nouvelle étude !
  • Mieux utiliser (et réutiliser) les données et insights. Accroître sa connaissance en faisant émerger des nouveaux insights analysés selon un angle différent. Une U&A peut délivrer des richesses d’insight, même très longtemps après sa 1ère exploitation. Une série de post-test analysés en corpus peut révéler des comportements médias insoupçonnés. Il existe de nombreux cas d’usages et la statistique est notre meilleure alliée pour cela.
  • Mieux communiquer. Enfin ce nouvel usage ne serait rien sans partage. Cette connaissance n’est pas produite pour rester dans les bureaux des équipes études, et encore moins dans leurs placards. Combien de fois ai-je entendu de la part des équipes insight « J’ai l’impression de répéter tout le temps la même chose ». Il y a donc un vrai sujet lié à l’appropriation de la connaissance aux confins de l’organisation. Elle doit mieux circuler, c’est-à-dire prendre une autre forme que le sacro-saint rapport d’études.

MarketingIsDead : Le problème, c’est que les études existantes ne sont pas toujours « compatibles » : compliqué de rapprocher, voire fusionner des données peu ou pas homogènes …

Charlotte Taupin ! Oui ! c’est pour cette raison qu’il est essentiel de mieux produire les études pour être capable le cas échéant de comparer, fusionner ou rapprocher des données entre elles.

Cela conduit à considérer les études dans leur ensemble, comme un tout alimentant la connaissance en permanence. Ce serait probablement intéressant de faire un audit de toutes les études d’une marque et de voir tous les ponts que l’on pourrait ériger entre elles. Un tel travail permettrait de réfléchir à une banque de questions par exemple ou une homogénéisation des cibles. Même au-delà des études ad hoc elles-mêmes !

Ensuite, il s’agit plus d’une mise en perspective des résultats. L’idée est de sortir de la méthodologie stricte (même s’il est impératif de la maîtriser) et de redonner un angle nouveau à une problématique en s’appuyant sur des sources multiples.

Même si celles-ci sont hétérogènes, elles racontent toutes des histoires ; et c’est ce croisement d’angles et d’approches qui fait la richesse d’une nouvelle analyse.

MarketingIsDead : Bien souvent, le marketing fonctionne dans l’urgence : n’est-ce pas utopiste de vouloir lui réapprendre à réfléchir dans le temps long ?

Justement ! C’est bien parce que le marketing fonctionne dans l’urgence qu’il est essentiel de savoir capitaliser sur les acquis

Charlotte Taupin ! Si le sujet est propre à la marque, et qu’une nouvelle étude est nécessaire, alors les équipes iront beaucoup plus vite si le savoir de l’entreprise est organisé, classé et réutilisable facilement. Et ce savoir ne concerne pas que les insights, mais aussi tous les éléments liés aux études : le questionnaire, la méthodo, les cibles…

Et je crois qu’il faut perdre le réflexe de n’être que dans la réaction. Peut-être d’ailleurs qu’il faut repenser l’organisation, avec 2 équipes : celle du temps court, en réponse à un besoin urgent, et celle du temps plus long qui alimente en permanence la 1ère et aussi le reste de l’organisation.

Cela valoriserait davantage la data, les insights et les équipes !

Le luxe contre-attaque

Avec Yves Hanania et Philippe Gaillochet, Isabelle Musnik, fondatrice et directrice d’INfluencia, vient de publier Le luxe contre-attaque ; rencontre avec les auteurs.

MarketingIsDead : Le luxe contre-attaque : le secteur n’avait-il pas trop tardé à répondre aux défis d’un monde en mutation ?

Yves, Isabelle, Philippe : Non, pas du tout. Les grandes maisons de luxe ont, ces dernières années, relevé deux défis essentiels : le succès en Chine et l’e-commerce. L’importance de ces deux dimensions dans leurs chiffres d’affaires – près du quart du total -, leur donne les moyens d’avancer vers le développement durable et la responsabilité sociale. La crise sanitaire a accéléré la prise en compte de ces deux nouveaux challenges. Mais le premier remet en cause la nature et l’origine des approvisionnements – une œuvre de longue haleine. Quant au second, il semble encore, et c’est une erreur, compromettre pour les actionnaires la rentabilité financière qu’ils recherchent dans le luxe. Les exigences de la responsabilité sociale et environnementale finiront par s’imposer dans le luxe, plus vite que dans les autres secteurs.

MarketingIsDead : Partout émergent des startups, plus créatrices les unes que les autres : le luxe sera-t-il longtemps épargné par ce mouvement ?

Yves, Isabelle, Philippe : Le début de la décennie a vu se multiplier les nouvelles marques. Leur taille initiale limitée n’est pas un obstacle à leur survie. Ces marques, en phase avec la demande des jeunes générations, ont pris les devants de la scène, et ce, dans tous les secteurs. Elles s’inscrivent dans l’air du temps ; le luxe n’y échappe pas. Au contraire, compte tenu des moyens des grands groupes, il est à parier que d’autres marques verront encore le jour, venant combler un vide entre les marques établies et celles des nouvelles générations.

Ainsi des DNVB (Digital Native Vertical Brands), qui ont intégré dans leurs gènes les aspirations des clients et le respect de la planète, ont vu le jour avec succès comme la maison de joaillerie Courbet, spécialiste du diamant de synthèse lancée en 2018, ou La Bouche Rouge, marque cosmétique lancée en 2017/2018.

Les marques digitally native du luxe constituent des cibles pour les grands groupes. Leur expérience dans le numérique ou leur créativité en termes de produits ou de services peuvent être stratégiques aux autres maisons. Réciproquement, les moyens de celles-ci peuvent accélérer leur croissance. Mais leur autonomie est la condition de leur créativité. Leur modèle Direct to Consumer leur permettra de dialoguer sans intermédiaire avec leurs clients. D’où, l’importance stratégique de maîtriser la panoplie des outils digitaux. Leur pérennité et leur succès passeront par une bonne gestion de leur production en croissance, leur présence dans les circuits de distribution et l’élargissement de leur base de clients.

Le luxe de demain ne pourra échapper à l’expansion de ce luxe en direct. Reste à savoir si l’aura et la puissance des grandes marques historiques seront suffisantes pour maintenir la distance. Elles devront en tout cas bien comprendre et reprendre les codes et les modèles économiques gagnants des DNVB.

MarketingIsDead : Le Métavers est à la mode, même si les modèles actuels évoquent plus Second Life que Neal Stephenson : le luxe peut-il réellement y trouver sa place ?

Yves, Isabelle, Philippe : Le Métavers est un univers dans lequel les acteurs du luxe sont naturellement à l’aise. Quoi de plus logique puisque le luxe par essence se nourrit d’imaginaire et cherche à repousser toujours plus loin les limites du possible. Déjà la mode est passée de l’analogique au numérique avec des marques qui investissent de plus en plus le cyberespace : méthodes de conception numérique 3D innovantes, filtres virtuels pour essayer des accessoires Dior et Chanel, mannequins 3D pour Burberry ou Mugler, défilés façon jeux vidéo pour Christian Louboutin ou Balenciaga, collection NFT pour Dolce & Gabbana. Une mode 2.0 qui parle naturellement à la jeune génération et possède un véritable potentiel pour les grandes maisons de couture, en transformant l’économie du secteur avec la création de plusieurs maisons de mode numérique. Le phénomène n’en est certes encore qu’à ses balbutiements mais il s’agit d’une tendance de fond. En 2018, The Fabricant, la première maison de couture numérique au monde, est arrivée sur le marché. Depuis de nombreuses marques de mode virtuelle dont les pièces n’existent qu’au format numérique ont vu le jour : Tribute Brand, XR Couture…

Le Métavers est l’étape suivante et le secteur du luxe y jouera un rôle pionnier. Sa puissance financière lui permet d’y être omniprésent. Ses produits peuvent être proposés à des couts bien plus faibles que ceux de leur double matériel et ses codes esthétiques peuvent s’y imposer. Le luxe utilise déjà le Métavers pour vendre ses produits et services. Par exemple, parallèlement à sa Gucci Garden Experience sur Roblox, la marque italienne propose la vente de produits virtuels et vend un sac à 4 115 dollars, plus cher que dans le monde réel !

Le Métavers devrait générer un revenu supplémentaire de 50 milliards de dollars d’ici 2030 pour le secteur, selon une note de Morgan Stanley publiée en novembre 2021. Selon Morgan Stanley, les jetons non fongibles et les jeux sociaux pourraient faire croître le marché potentiel des groupes de luxe de plus de 10 % d’ici huit ans et augmenter le bénéfice avant intérêts et impôts du secteur d’environ 25 %. « Nous pensons que l’ensemble du secteur bénéficiera de l’avènement du Metaverse, mais nous considérons que les marques de luxe dit « doux » (prêt à- porter, maroquinerie, chaussures, etc.) sont particulièrement bien positionnées par rapport au luxe dit « dur » (joaillerie et horlogerie) » souligne la banque d’affaires.

MarketingIsDead : Aujourd’hui, après des années de dérives sociétales, l’inclusion est une des valeurs montantes de notre époque : or le luxe n’est-il pas une formidable à exclure ?

Yves, Isabelle, Philippe : A l’heure de la transparence numérique totale, le luxe n’est pas une machine à exclure. Bien au contraire. L’effet mimétique joue à plein. Les grandes marques pulvérisent les barrières entre groupes sociaux. Le « pourquoi pas moi ? » est favorisé, par la location, par la seconde main, par l’upcycling et par l’économie circulaire avec le recyclage des matières et des produits invendus. Les NFT, dont les prix peuvent être aussi astronomiques qu’abordables, selon les secteurs, participent à la diffusion de la grammaire du luxe.

L’installation du luxe dans les représentations mentales collectives s’ajoute au rôle majeur et mieux reconnu qu’a cette industrie pour l’économie et l’emploi de pays leaders comme la France ou l’Italie.

Manifeste pour une IA comprise et responsable

Jean-Paul Aimetti vient de publier, avec Gilbert Saporta et Olivier Coppet, un Manifeste pour une IA comprise et responsable … vaste sujet ! Rencontre avec l’auteur.

MarketingIsDead : Aujourd’hui, tout le monde se veut « responsable » ; en nous restreignant à un domaine qui nous est cher comme anciens présidents de l’Adetem, quelle est ta vision d’une AI Responsable … en Marketing, bien sûr ?

Jean-Paul Aimetti : Plusieurs aphorismes de notre Manifeste traitent d’une IA responsable en Marketing, en remarquant que ces réflexions s’appliquaient déjà à l’utilisation de modèles ou à la communication numérique avant la déferlante de l’IA, mais les risques se sont aggravés avec la puissance de l’IA.

Pour n’en citer que quelques-unes de ces réflexions :

  • La nécessité de transparence sur les algorithmes utilisés en marketing.

Bien que les concepteurs de tels algorithmes évoquent la complexité de leurs modèles pour ne pas décrire leur fonctionnement, il est toujours possible de lever le voile sur les critères majeurs ayant conduit à une décision défavorable à un client (qui est en droit de comprendre, par exemple, pourquoi un prêt bancaire lui a été refusé ou son tarif d’assurance à excessivement augmenté).

  • Dans la relation client, l’IA ne doit pas masquer l’incompétence.
    • Pour répondre à un client mécontent, un correspondant client qui arguait hier « C’est la faute à l’informatique » risque d’être tenté de déclarer aujourd’hui « C’est la faute à l’IA » ; au final la responsabilité incombe aux concepteurs et aux utilisateurs des algorithmes et non à une machine.
    • Avant d’investir massivement dans des chatbots censés répondre à tout, certaines grandes entreprises devraient améliorer leurs systèmes d’information ainsi que la formation et l’organisation de leurs collaborateurs.(Cf les affres de clients d’opérateurs téléphoniques pour tenter de résoudre certaines pannes).
  • Dans tout contact client, l’humain ne doit pas disparaitre avec l’omniprésence de l’IA

Un recours à une relation humaine personnalisée doit toujours être possible, en particulier pour les personnes âgées, handicapées ou ne maitrisant pas le numérique.

  • L’IA se nourrissant de données de plus en plus intrusives, le marketing doit, plus que jamais multiplier les mesures de protection des données personnelles.

Qui plus est, le suivi permanent des individus pour influencer leurs comportements et demain leurs pensées peut être détourné par des acteurs ou des états mal intentionnés.

  • Concernant la communication des sociétés de conseil, les promesses de résultats spectaculaires dus à l’IA se multiplient en surfant sur l’ignorance de nombre de décideurs.

Comment croire, par exemple, que le « deep learning » est la recette magique pour innover ou augmenter considérablement ses ventes ?

MarketingIsDead : Votre ouvrage se compose d’aphorismes … ce qui n’est pas sans rappeler le récent manifeste du Conseil Scientifique de l’Adetem : 36 évidences pour demain, merci le Marketing : notre monde se déconnecterait-il tellement du réel qu’il convient par moments de remettre les points sur les « i » et repartir aux bases ?

Jean-Paul Aimetti : Il est en effet vital de « garder les pieds sur terre » dans un monde où les humains sont progressivement remplacés par leurs images numérisées, virtuelles, réductrices et falsifiables. Une telle tendance, accélérée par l’émergence du métavers, peut, au final, conduire à un déni de la réalité.

MarketingIsDead : Je cite un de vos aphorismes : « Certaines entreprises peuvent être tentées d’afficher une IA éthique uniquement pour mieux vendre » : après le greenwashing, une forme nouvelle de « IA éthique washing » ?

Jean-Paul Aimetti : Depuis plusieurs années, un nombre croissant d’entreprises mettent en avant des valeurs de responsabilité sociétale et environnementale, en s’efforçant d’apporter des justifications plus ou moins sincères à cette orientation.

Ces justifications risquent d’être de plus en plus difficiles à vérifier, si les décisions de certaines entreprises sont fondées sur des algorithmes d’IA d’une grande opacité.

Eros, l’encre du désir

Vous connaissez certainement mon ami Jean-Jacques Vincensini, professeur émérite des universités, pour ses contributions aux Mardis du Luxembourg ; avec Frédéric Ferney, il vient de publier chez Albin Michel : Eros, l’encre du désir.

MarketingIsDead : Comment un Professeur Emérite spécialisé dans la littérature médiévale en arrive-t-il à s’intéresser à l’amour ?

Jean-Jacques Vincensini : Parce que, précisément, c’est le grand sujet de toute personne qui s’intéresse à la littérature médiévale ! L’idée que l’Occident se fait de l’amour est, en effet, fondée sur la nouvelle image de la femme qui s’est construite (sans doute sans être vécue) au XIIIe siècle. Plus ou moins inspirée par les poètes andalous, les troubadours du sud de la France se mettent à chanter le désir – l’inassouvissement du désir plus exactement – et la fascination pour la Dame, femme inaccessible et idéalisé ? Sa Dame, le poète l’élève au rang de suzerain qui demande à être servi(e) jusqu’à l’abnégation et à la servilité. Cette vision troubadouresque dite « courtoise » a inspiré les trouvères du Nord qui, eux-mêmes, ont fourni cette nouvelle conception des relations érotiques aux romanciers, comme Chrétien de Troyes (l’auteur de Lancelot ou le chevalier à la Charrette ou Béroul (avec son Tristan et Iseut).

MarketingIsDead : Pour toi, l’amour n’existe pas hors littérature (je raccourcis un peu) : tu peux préciser ?

Jean-Jacques Vincensini : Bien sûr, l’amour est d’abord une sorte d’effervescence pulsionnelle, un flot d’émotions jaillissant et débordant le sujet qui n’en peut mais. En tant que tel l’amour est u universel et intemporel. Et, au sens propre, « ineffable », non-littéraire. Mais chaque civilisation, chaque culture a imposé sa façon de vivre ce flux étonnant et ineffable. L’histoire de chacune d’elle a conduit à donner des cadres ou des moules singuliers à cette expansion souvent déchaînée avant qu’elle ne soit mise en mots.

Dans cette perspective, on a dit que Tristan et Iseut était l’« étymologie de nos passions ». Cette affirmation exprime bien l’idée selon laquelle les élans passionnels que nous croyons vivre dans une spontanéité qui, parfois, nous dépasse, sont façonnés, que nous le voulions ou non, par les moules culturels – c’est-à-dire, en fait, des moules littéraires – grâce auxquels l’Occident a inventé, construit et formaté sa propre conception des liens amoureux. Pas de discours écrits par Eros, pas de relations amoureuses ! Souvent, à nos corps défendants. Evidemment ces discours ne sont pas en Europe, depuis le XIIIe siècle, les mêmes qu’au Japon ou en Sibérie du sud.

MarketingIsDead : Pour Freud, l’art est juste sublimation de la sexualité : la littérature courtoise n’est-elle pas celle d’une société frustrée qui refuse le passage à l’acte ?

D’abord il existe un concept qu’affectionne la poésie courtoise, celui de joy, qui dit bien le but ultime et désiré de la relation du poète et de sa Dame : le plaisir de la jouissance sexuelle. Sublimation mais échange des corps ! Le grand poète Guillaume, duc d’Aquitaine, était un fornicateur notoire.

D’ailleurs, les grands héros des romans dits courtois, comme Tristan, l’amant d’Iseut ou Lancelot, celui de Guenièvre, passent à l’acte, ce qui ne manque pas d’entraîner des catastrophes diverses.

On ne sait pas grand chose de la « réalité » de la vie amoureuse (frustrante ou non) des hommes et des femmes du Moyen Âge. D’ailleurs, les historiens, manquant de sources, puisent dans la littérature romanesque pour en trouver…

À la différence de Freud, on peut dire que l’art littéraire médiéval n’a pas (seulement) eu la fonction de sublimer le réel insatisfaisant, mais la vertu majeure et riche de conséquences, de fonder et de donner forme à nos manières de dire, de vivre et de fantasmer nos désirs.

Une de ses conséquences, par exemple ? Madame Bovary n’est-elle pas une lecture enivrée de romans courtois… Et le Bovarysme qu’elle a suscité (y compris dans le Lolita de Nabokov) ne marque-t-il pas de son empreinte les vies des jeunes femmes du XXIe siècle qui, comme Nabilla, façonnent leur vision insatisfaite du monde via les magazines people, reflets du star-system idéalisé et de l’héroïsme courtois qui le fonde. Voir les nombreux sites consacrés au Bovarysme aujourd’hui.

Georges-Edouard Dias et la grande rébellion des consommateurs

Le marketing a trop souvent considéré les consommateurs comme des cibles taillables à merci, pourvu qu’on leur propose des produits et/ou services à peu près adaptés à leurs besoin … sauf qu’aujourd’hui, ça marche de moins en moins – voire plus du tout selon les populations à qui on s’adresse : la grande rébellion des consommateurs, c’est maintenant et partout !

Quelle forme prend-elle ? Comment en est-on arrivé là ? Quels secteurs sont les plus touchés ? Quelles solutions pour les marques ? Et sur quoi tout cela va-t-il déboucher ?

Toutes ces questions, le Club Horizon(s) de l’Adetem les a posées le 4 Mai dernier à un panel d’expert ; retour sur cet événement avec Georges-Edouard Dias, Co-Founder & Chief Strategy Officer de QuantStreams, Program Manager à HEC, membre du Conseil Scientifique de l’Adetem.

MarketingIsDead : Selon le baromètre Edelman Trust 2020, 62% des Français déclarent « craindre d’être des laissés pour compte de la croissance », et seuls 19%   pensent que « les choses vont s’améliorer dans les cinq ans à venir » : faut-il y voir les bases de leur révolte ?

Georges-Edouard Dias : La révolte des consommateurs prend sa source dans l’augmentation constante des inégalités de pouvoir d’achat amplifiée par les crises financières et maintenant sanitaires : ce sont toujours les classes moyennes et inférieures qui en font les frais.

Le capitalisme tel que nous le vivons, s’il a permis de créer une société d’abondance, va cependant échouer socialement par son incapacité à mieux redistribuer les fruits de la croissance. Une majorité grandissante de Français (62% avant le début de la crise COVID) constate que les principaux bénéficiaires du capitalisme sont par définition, ceux qui disposent d’un capital qu’ils peuvent investir ; tant les revenus du capital sont toujours largement supérieurs en proportion à ceux du travail. Et bien sûr encore plus en temps de crises…

Ceci construit une société où il y a de moins en moins de « nantis », mais où chaque nanti dispose de considérablement plus de patrimoine, et où la classe moyenne se sent de plus en plus proche du seuil de pauvreté… D’où des tensions fortes, et une révolte qui risque d’aller bien au-delà de celle des consommateurs.

La probable multiplication des crises, notamment sanitaires et environnementales ne va qu’exacerber ce phénomène : il est urgent de redonner confiance au citoyen-consommateur, en montrant que le capitalisme peut se réformer en constituant une société de consommation plus redistributive, et donc plus pérenne.

MarketingIsDead : Plus que d’une révolte, tu parles d’une mutinerie ?

Georges-Edouard Dias : « Une mutinerie est une action collective de révolte au sein d’un groupe réglé par la discipline, les détenteurs de l’autorité étant généralement mis en cause avec vigueur ».

Voilà des années que les consommateurs se sont conformés aux modes de consommations proposés par la société, répondant avec discipline aux injonctions des marques, comme aux injonctions des autorités gouvernementales et religieuses auxquelles ils faisaient une large confiance. Cette ère de la confiance dans la société et ses institutions est aujourd’hui révolue, et le cercle de confiance se restreint aujourd’hui à ce qui est physiquement proche de soi, ceux que l’on connaît et qui nous connaissent : mes amis, mon entreprise, mes commerçants, mon médecin et mon pharmacien, mon maire…

La consommation est un marqueur essentiel de ce nouveau localisme, une manière de voter concrètement pour la société à laquelle on croit parce qu’on y existe. Les consommateurs deviennent des mutins au sens propre,  ils désertent progressivement les casernes imposées de la consommation, pour s’organiser entre eux, dans une économie locale où la valeur générée par ce qu’ils consomment bénéficie d’abord à la communauté.

Les mutins prennent le contrôle de leur vie économique locale : ce n’est pas une révolte, qui impliquerait de la violence ; c’est la volonté d’exercer cette liberté fondamentale de consommer comme on le souhaite, et de s’assurer de l’impact positif de sa consommation autour de soi.

Rien de surprenant donc à ce que les consommateurs s’attaquent spontanément à tous ceux qui voudraient continuer à les diluer dans un modèle générique de consommation décidé au niveau national et orchestré par des chaînes de distribution uniformément réparties sur le territoire, au gré des ronds-points qu’ils finissent par prendre d’assaut. Il est urgent que notre société comprenne, accepte et même encourage cette nouvelle écologie de la consommation, où des communautés s’organisent pour mieux subvenir à leurs besoins essentiels, qu’ils soient dans le domaine alimentaire, énergétique ou dans les services de proximité. Demain, c’est de la création de valeur de ces communautés que se construira la prospérité de notre société ; la richesse du local alimentant la vitalité de l’économie nationale.

On ne peut plus imaginer aujourd’hui une économie nationale forte de son seul pouvoir central : la force et surtout la résilience d’une économie nationale se construira par la vitalité des cellules locales qui la composent.  

MarketingIsDead : Le marketing aujourd’hui est-il en phase avec ce nouveau contexte sociétal … ou doit-il se réformer rapidement ?

Georges-Edouard Dias : Dès l’origine, le marketing s’est mis au service de la société capitaliste en servant d’abord l’intérêt des actionnaires, alors que sa mission est avant tout de servir l’intérêt des clients. Dopé par les technologies digitales, le marketing tend même à devenir aujourd’hui une grande table d’écoute destinée à espionner les consommateurs et à les formater dans un mode de consommation global au service d’un modèle unique de croissance des profits.

Plus le marketing va dans cette voie, plus il se marginalise aux yeux des consommateurs, qui se mutinent dans leur cercle de proximité, et plus la fonction marketing se marginalise au sein des entreprises en se diluant dans la data et le digital.

Il est temps de mettre le marketing en phase avec le consommateur : que ses capacités d’écoute, que son esprit de synthèse, que sa capacité d’imaginer une nouvelle société de consommation au service de chacun soient enfin mis à profit. En servant avant tout le consommateur, le marketing servira mieux l’entreprise, qui tire avant tout sa prospérité de la confiance et de la consommation de ses clients, et par voie de conséquence, l’entreprise servira mieux ses actionnaires et au-delà, les enjeux planétaires.

On ne peut pas espérer une transformation écologique, dont on sait qu’elle nécessite une évolution importante des modes de consommation, si ses bénéfices ne sont pas traduits concrètement dans la vie quotidienne de chacun. C’est le rôle du marketing aujourd’hui que d’épauler au sein des entreprises cette grande mission de sauvetage de notre planète en démontrant aux consommateurs le bénéfice concret qu’ils en tireront dans l’amélioration de leur vie quotidienne, pour eux-mêmes et pour leur communauté d’intérêt.

« La planète n’est pas à vendre, c’est pour cela qu’elle a tant besoin du marketing » (le nouveau manifeste des évidences, Adetem 2021).

MarketingIsDead : Tu évoques une nouvelle mission pour le Marketing …

Georges-Edouard Dias : A un moment où les consommateurs retrouvent leur confiance dans leur capacité de transformation de la société (selon le baromètre Edelman 2021, 64% des consommateurs Français se disent qu’ils ont le pouvoir de changer les choses, notamment dans les entreprises), il est important que se constitue au sein de la société en général et des entreprises en particulier une force capable de canaliser cette nouvelle expression des consommateurs pour qu’elle puisse déboucher sur des réalisations concrètes.

Qui mieux que le Marketing, centre d’écoute et d’analyse des souhaits et des attentes du consommateur, pourrait organiser cette expression, et forcer le changement au sein des entreprises ?

Dans la reprogrammation souhaitée par le consommateur de notre société de consommation, oui, le marketing fait naturellement partie de la solution.

C’est là la nouvelle mission du marketing, reprendre le contrôle de la gouvernance de l’entreprise pour la remettre d’abord au service de ses clients et de la planète. Ce n’est plus la Finance ou, pire, le Digital qui formera les CEOs de demain : ils seront tous issus (de nouveau) des rangs du Marketing!

Le marketing vu de Séoul

Hyung-Rae travaille chez Delitoon en France, mais partage son temps entre Paris et Séoul.

MarketingIsDead : Tu es directeur des contenus et de la plateforme Delitoon : tu peux nous en dire un peu plus sur cette startup et ta mission ?

Hyung-Rae : Delitoon est la première plateforme de webtoon (bande-dessinée nativement en ligne, avec pour spécificité d’être en « scrolling » vertical – c’est-à-dire – une lecture verticale de haut en bas ; le rendant extrêmement adapté à la lecture mobile), créé en fin d’année 2015. Elle est première dans son secteur, notamment en termes de CA, loin devant les acteurs traditionnels du marché.

Delitoon propose un modèle économique atypique, qui diffère radicalement des principaux modèles présents sur le marché, en s’abstenant de proposer un modèle par abonnement, mais un modèle freemium, inspiré du monde des jeux vidéos. Les utilisateurs s’inscrivent gratuitement sur la plateforme et peuvent lire une partie des contenus gratuitement. S’ils souhaitent continuer, ils peuvent acheter des packs de coins, avec un tarif unitaire dégressif selon la quantité. Puis, chacun est libre de dépenser les coins de son portefeuille pour accéder à un épisode payant. 

Ce modèle comporte plusieurs avantages : un calcul des partages des droits plus justes et plus clairs ainsi que de mettre un « prix » sur un bien culturel numérique. En effet, avec la prolifération des abonnements dits « illimités », beaucoup de personnes ont perdu la notion de valeur sur les contenus qu’elles consomment. De plus, les abonnements illimités ne permettent pas un partage équitable entre la plateforme de diffusion et les producteurs/créateurs. Avec ce modèle, le partage est simple : un achat d’épisode va produire un chiffre d’affaires qui va être partagé avec l’ensemble des acteurs en jeu.

La grande question que l’on peut se poser par rapport à ce modèle est sa viabilité. Je pense que le modèle a fait ses preuves en Asie, plus particulièrement en Corée du Sud, mais également le Japon, la Chine ou encore à Taïwan ou en Indonésie. Le modèle rencontre également un énorme succès aux Etats-Unis en ce moment même avec les principaux acteurs du secteur s’efforçant à exporter leurs succès.

Depuis la création de Delitoon, j’ai pu accompagner son développement en commençant par les bases : le modèle économique ainsi que les aspects englobant le financement, les business plan, le marketing, la communication mais également tous les aspects éditoriaux (prise de contact avec les ayant-droits, négociation des droits, mise en place des flux éditoriaux (localization process)), ainsi que la programmation et les promotions au sein de la plateforme.

Dans ce cadre, nous avons pu travailler avec un budget extrêmement important essentiellement tourné vers le marketing digital, et plus particulièrement, tourné vers les contenus. En effet, ma conviction et notre conviction a été que ce qui intéresse réellement nos lecteurs, ce sont les contenus que l’on propose. C’est notre plus grande porte d’entrée et c’est ce qui fait notre force. Ainsi, nous avons capitalisé la majeure partie de notre budget sur les contenus et nous nous sommes attachés à faire en sorte que les utilisateurs puissent « goûter » nos séries. Cela a été une stratégie gagnante, nous permettant d’acquérir un maximum d’utilisateurs en très peu de temps.

Sur la programmation et les promotions, nous pouvons dire que ce sont deux points qui sont extrêmement importants dans la mécanique économique de la plateforme. En ayant une publication hebdomadaire d’un nouvel épisode toutes les semaines, cela permet et donne un rendez-vous régulier à nos lecteurs, qui ont à présent une raison de revenir très régulièrement. Cela permet également de « lisser » le chiffre d’affaires sur une semaine et d’avoir un point de contact régulier avec le client, nous permettant de « travailler » afin de lui adresser une offre ou lui faire découvrir de nouvelles séries.

Par exemple, si une personne suit une série par jour, cela signifie que cette personne se connectera potentiellement au moins une fois par jour, signifiant que nous faisons partie du quotidien de cette personne. De plus, avec les différentes mécaniques développées et présentes sur la plateforme, s’inspirant des jeux « freemium », même si la personne n’est pas acheteuse, nous tentons à chaque instant de donner une raison de se connecter et d’utiliser nos services.

En résumé, mon rôle est non seulement de recruter de nouveaux utilisateurs, de les convaincre, de leur donner envie de consommer nos contenus mais également, de leur donner une raison de rester sur la plateforme, par l’intermédiaire des différentes mécaniques ainsi que les promotions, afin de continuer leurs expériences de lecture avec nous.

MarketingIsDead : Tu es expert en marketing, mais en plus tu possèdes une double culture française et coréenne : en quoi le marketing vu de Séoul diffère-t-il du marketing vu de Paris ?

Hyung-Rae : En soit, les objectifs sont similaires dans les deux pays : que ce soit l’acquisition, le remarketing ou la communication de marque, il n’y a pas de différence. Je pense que la principale différence réside dans la volonté, voire l’acharnement, des coréens à être de plus en plus efficaces. Tous les moyens sont bons afin d’atteindre un niveau de ROI satisfaisant et les marketers ne se contentent pas d’être sur la « moyenne du marché ».

Pour cela, il y a une règle fondamentale qu’il faut respecter : toutes les actions doivent être mesurables et mesurées, et avoir un objectif précis (KPI). Par exemple, dans le cas de Delitoon, les campagnes digitales ont pour objectif de se centrer sur l’acquisition de nouveaux utilisateurs. Pour ce faire, nous nous basons sur le CPA (Cost per Action) que nous mesurons via différents outils (propres ou proposés par les régies publicitaires), par campagne ou par série. L’idée étant d’analyser en temps réel les impacts ainsi que les résultats macro et micro que nous pouvons observer pour prendre une ou plusieurs décisions en accord avec les derniers. Le processus de Test & Learn est donc perpétuel et en temps réel. Par la suite, nous en tirons les leçons afin de déterminer et de décliner les éléments qui fonctionnent.

Je pense également qu’une grande différence se situe sur la réactivité et la prise d’opportunités. En effet, le marketing coréen est extrêmement réactif aux événements et opportunités qui surgissent dans le paysage. Ainsi, les entreprises n’hésitent pas à s’accaparer d’événements qui peuvent paraître mineurs, notamment tout ce qu’il peut se dérouler dans les réseaux sociaux. Dès la découverte d’une tendance sur les réseaux, les différentes campagnes sont adaptées dans les heures qui suivent afin de « coller » au mieux et de profiter de ces opportunités. Toutes les opportunités sont bonnes à prendre : ce dernier permet de soulever un dernier point concernant l’ambiance en général autour du marketing en Corée – l’agressivité marketing est beaucoup plus forte à Séoul qu’à Paris. 

Cette agressivité peut-être perçue de plusieurs manières mais la principale se situe dans le fait que toutes les actions sont coordonnées et faites pour « faire du chiffre » et la compétition est féroce afin d’attirer l’attention des prospects. Cependant, ceci est un vaste sujet qui mérite d’être traité indépendamment.

MarketingIsDead : Revenons aux startups … et à leur nécessaire adolescence : comment passe-t-on d’une démarche de type Growth Hacking à des formes plus classiques d’acquisition et à un marketing de marque ?

Le terme de Growth Hacking est vaste, cependant, en soi, je pense que cette méthode est utilisée par toutes les entreprises qui font du marketing. Cependant, quand on regarde le Growth Hacking sous le spectre des startups, c’est un moyen permettant aux entreprises de sortir du lot et de dépasser ses concurrents. Delitoon, depuis ses racines, a intégré la notion de growth hacking, dès la mise en place du business plan et donc, de la stratégie et la direction prise par l’entreprise. La clé était de mettre l’ensemble des compétences de l’entreprise vers une seule et même direction :: la croissance. Cela sous-entend, bien entendu, que l’ensemble des acteurs impliqués travaille avec un objectif commun et une vision partagée – cela est beaucoup plus facile dans une structure de type « startup » qu’une entreprise de taille plus importante.

L’un des buts du Growth Hacking est de trouver les solutions les plus efficientes en termes de coût/investissement. Comme j’ai pu l’évoquer un peu plus en haut, une fois qu’une solution viable est trouvée, on revient sur une démarche beaucoup classique de test & learn, puis d’application des méthodes. Chez delitoon, nous avons utilisé le growth hacking pour accélérer la croissance dans les premières phases : atteindre et acquérir le plus rapidement que possible notre cœur de cible. Cela nous a permis de prouver au marché que le modèle économique proposé par notre plateforme est solide, permettant aux investisseurs d’être rassurés sur l’avenir de l’entreprise.

Une fois ces objectifs de persuasion et de démonstration atteints, nous nous sommes tournés vers une communication et un marketing beaucoup plus classique afin, cette fois, mettre en place une stratégie d’extension du marché, c’est-à-dire, aller au-delà du cœur de cible, étendre le marché de manière à trouver un second souffle dans la croissance de l’entreprise. Cette phase est toujours en cours et, si jusqu’à maintenant, nous avons eu le souhait de nous concentrer sur ce que notre cœur de cible aime – nos contenus –, nous souhaitons rediriger la communication vers une communication plus globale portant sur la marque. Nous pensons que c’est là où nous pouvons trouver un second souffle pour notre croissance.