À l’ouest, et partout ailleurs, toujours rien de nouveau #6 - Marketing is Dead
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À l’ouest, et partout ailleurs, toujours rien de nouveau #6

À l’ouest, et partout ailleurs, toujours rien de nouveau #6

6ème épisode de ma contribution à L’Horrificque Disputatio, ouvrage collectif des Mardis du Luxembourg.


3 semaines plus tard

Trois semaines plus tard, Niels quittait Paris pour Montcuq – un peu plus de 600 kilomètres et une dizaine d’heures par les départementales à en croire son GPS : il évitait les autoroutes, ennuyeuses et chères ; surtout elles étaient réservées aux voitures non polluantes – électriques, hydrogène – et lui ne possédait qu’une vieille hybride.

Après Fontainebleau, il décida de suivre la vieille Nationale 7, si chère à Charles Trenet – son père aimait bien écouter ces vieux chanteurs de « l’après Guerre », comme Trenet ou Bécaud, le fameux « Monsieur 100 000 volts » :

« De toutes les routes de France d’Europe
« Celle que j’préfère est celle qui conduit
« En auto ou en auto-stop
« Vers les rivages du Midi
« Nationale 7 ».

L’atmosphère lui rappelait, non pas « l’après Guerre », mais plutôt la débâcle de Juin 40 … sauf que là, on ne savait pas trop devant quoi on fuyait !

Bien sûr son père, ni même son grand-père, n’avait vécu cette période, mais il se souvenait de vieilles archives cinématographiques qu’il avait vues un jour à la télévision – sur Arte, lui semblait-il ; ces longues files de gens à pieds qui avançaient en tirant des charrettes pleines d’objets hétéroclites.

Les fuyards de 40 s’en virent butter contre la ligne de démarcation, après avoir s’être égarés sous les mitrailleuses de la Luftwaffe ; traumatisés, parfois coupés de ceux avec qui ils étaient partis, ils croisaient à leur retour vers le Nord ceux qui espéraient encore trouver refuge dans le Sud !

Le gouvernement de Vichy, soucieux d’accélérer accélérer les retours, établit un plan de rapatriement avec points de ravitaillement et gîtes d’étape ; ici, rien de tel : ceux qui fuyaient vers le Nord croisaient sans leur accorder un regard, ceux qui espéraient un sort meilleure vers le Sud – et vice versa …

Là, rien n’était ordonné, ni dans une direction, ni dans une autre : ça grouillait dans tous les sens, un peu comme dans Les raisins de la colère … quoique dans le roman de Steinbeck, les gens espéraient retrouver l’Eldorado vers l’Ouest.

Mais c’était les mêmes regards vides, sans réel espoir, ceux de types qui ont tout perdu, qui crèvent de faim et qui savent qu’in fine, il n’y a rien au bout de la route … mais qui font comme si, pour conserver une raison d’avancer, ne pas se coucher au bord de la route et attendre …

Attendre … rien, sinon la mort, sans doute.

Les pandémies avaient tué des centaines de milliers d’entreprises et des millions d’emplois ; et les rares à avoir profité de la crise – les rois du e-commerce et de la livraison à domicile, Amazon et autres Uber – n’embauchaient pas : le premier avait totalement robotisé ses immenses entrepôts et le second avait déployé en temps record, ses gigantesques flottes de camions totalement autonomes.

Pour tous ces fuyards, il n’y avait rien au bout du chemin : même pas une pièce de la main de ceux qui avaient encore un job, mais vivaient dans l’angoisse de le perdre.

La nuit, ils allaient voler le blé à peine mûr dans les champs et souvent des bagarres éclataient avec les comités d’autodéfense des agriculteurs – on ne retrouvait pas toujours les corps …

Des associations caritatives organisaient des distributions de repas, la plupart financées par les pouvoirs publics – mais bien insuffisamment : la dette publique était déjà abyssale, le gouvernement puisait sans cesse dans les nouvelles lignes de crédit que lui accordaient l’Europe, le FMI et surtout le Nouveau Fond International contre les Pandémies.

Les plus jeunes, eux, se réfugiaient dans les jeux vidéo : pas de ces vieux jeux de fantaisie où il faut tuer des dragons pour passer au niveau supérieur, ni ces jeux violents pleins de gangsters et autres pirates.

Non, des jeux très proches de la vie de tous les jours – et complètement immersifs, avec casques de réalité virtuelle et combinaisons sensorielles ; le plus populaire s’appelait OTRA – pour « On The Road Again », on entendait en fond sonore un vieux blues datant de … 68, d’un groupe américain totalement inconnu, Canned Heat, mais totalement envoutant !

L’action se situait dans la France actuelle – et il existait bien sûr une version par pays, mais pas d’internationale : depuis longtemps, on évitait de passer les frontières. C’était un jeu hyperréaliste : on se fixait un point de départ et un autre où arriver, un itinéraire et un moyen de locomotion.

Niels s’était choisi une vieille Toyota hybride, ce qui lui interdisait les autoroutes … mais il n’y avait pas beaucoup d’aventure, sinon quelques malfrats sur le parking des restoroutes ; alors que le long des nationales, il pouvait se passer tant de choses.

Le jeu était à la fois simple et compliqué ; le problème essentiel état qu’on arrivait rarement – ou plutôt jamais – à destination.

Ni dans le jeu : il y avait toujours un dernier obstacle infranchissable, même pour se rendre de la Madeleine à la Concorde.

Ni dans la réalité : les accros à OTRA ne bougeait plus guère de chez eux, ce qui arrangeait bien les gouvernements : ils ne risquaient plus de propager les virus !

Niels n’était pas prêt d’arriver à Montcuq …

3 semaines plus tard

Trois semaines plus tard, Niels hésitait toujours à quitter Paris pour Montcuq.

Certes, il avait bien envie de rejoindre Albertine dans le Quercy, d’autant que la vie à Paris devenait particulièrement insupportable.

Certes le confinement général avait été levé en France, mais le virus continuait de circuler dans le monde, notamment en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, un Moyen-Orient où la pandémie se cumulait avec une reprise du terrorisme : les gouvernements locaux avaient beau imposer des mesures sanitaires drastiques, personne ne les respectait ! Quant aux hôpitaux, déjà encombrés de blessés, ils pouvaient difficilement accueillir de nouveaux patients.

D’où de nouveaux flux de migrants, et des foyers de contamination qui apparaissaient sporadiquement dans une Europe qui croyait avoir évité le pire …

Paris avait connu – et connaissait encore – plusieurs alertes, notamment le long du canal Saint-Martin, entre Jaurès et le jardin Villemin, avec pour conséquence un couvre-feu à 20 heures pour les 10ème et 19ème arrondissements, l’obligation de porter un masque dans la rue, etc.

Sur les Champs Elysées aussi, le port du masque était obligatoire, de même que dans bien d’autres lieux fréquentés par les touristes, mais pas seulement : les pouvoirs publics, soucieux de ne pas se voir un jour condamner pour laxisme – une cour spéciale avait été créée pour traiter ces multiples actions en justice, après les premières plaintes visant naguère Édouard Philippe et Agnès Buzyn –, multipliaient les décisions dans l’urgence, parfois de manière contradictoire : il n’était pas rare que deux ministres se contredisent, ou se fassent rabrouer par le Premier d’entre eux !  

Dans les transports en commun, c’était juste le bordel absolu : certaines lignes, comme la 1 ou la 13, n’étaient accessibles à certaines heures qu’aux porteurs de justificatifs – employeurs, médecins –, certaines stations demeuraient fermées aux mêmes horaires – mais la liste changeait sans arrêt … bref, le bordel absolu !

On ne comptait plus les chauffeurs de bus agressés parce que refusant de laisser monter des passagers sans masque ; inversement, une femme enceinte avait été violemment frappée dans une laverie du Val-d’Oise parce qu’elle refusait de porter le sien : le lendemain, une manifestation de soutien avait été organisée, prônant le libre choix … qui s’était heurtée, Place de la République, à un rassemblement revendiquant l’inverse.

La vie parisienne devenait intenable et pourtant Niels hésitait à partir, à cause de son job ; certes le gouvernement préconisait le télétravail chaque fois que possible – et Niels, community manager, pouvait aisément exercer sa profession à distance – mais de nombreuses entreprises faisaient de la résistance, craignant des baisses de productivité …

Productivité, croissance, retour aux bénéfices, etc. : on était bien loin des beaux discours qui avaient suivi le Covid-19 ! 

A l’époque on évoquait un « Monde d’après » totalement différent où santé, épanouissement personnel et bien sûr environnement devaient guider la nation – et non plus la seule réussite économique ; et s’il n’était plus possible de proposer un job convenable à tous, un revenu universel viendrait au secours des laissés pour compte des crises sanitaires et économiques …

Foutaises : une nouvelle génération d’économistes avait prêché « l’Urgence Réaliste », seule issue aux catastrophes qui avaient frappé ce début de millénaire : si l’économie ne redémarrait pas coute que coute, c’en était fini de la belle civilisation occidentale … quitte à laisser des millions de citoyens sur le bord de la route.

Ubérisation et robotisation étaient les maîtres mots des adeptes ce des nouvelles théories : quand on ne pouvait remplacer les gens pas des AI, on utilisait des « Kleenex » – des indépendants sans protection sociale, qui n’avaient d’autres droits que de bosser et se taire.

Niels, lui, bénéficiait encore d’un « vrai » job : mal payé, mais salarié !

Il bossait chez lui, dans son petit studio de banlieue : les frais de connexion Internet étaient à sa charge, un logiciel espion contrôlait qu’il était bien scotché à son clavier, etc. Mais deux matinées par semaine, il lui fallait se rendre à La Défense pour accomplir exactement les mêmes tâches au siège de son entreprise.

Juste un fil de plus à la patte … mais il avait un « vrai » job !

Non, Niels n’irait pas rejoindre Albertine à Montcuq …

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