25 mai 2021
Le marketing a trop souvent considéré les consommateurs comme des cibles taillables à merci, pourvu qu’on leur propose des produits et/ou services à peu près adaptés à leurs besoin … sauf qu’aujourd’hui, ça marche de moins en moins – voire plus du tout selon les populations à qui on s’adresse : la grande rébellion des consommateurs, c’est maintenant et partout !
Quelle forme prend-elle ? Comment en est-on arrivé là ? Quels secteurs sont les plus touchés ? Quelles solutions pour les marques ? Et sur quoi tout cela va-t-il déboucher ?
Toutes ces questions, le Club Horizon(s) de l’Adetem les a posées le 4 Mai dernier à un panel d’expert ; retour sur cet événement avec Georges-Edouard Dias, Co-Founder & Chief Strategy Officer de QuantStreams, Program Manager à HEC, membre du Conseil Scientifique de l’Adetem.
MarketingIsDead : Selon le baromètre Edelman Trust 2020, 62% des Français déclarent « craindre d’être des laissés pour compte de la croissance », et seuls 19% pensent que « les choses vont s’améliorer dans les cinq ans à venir » : faut-il y voir les bases de leur révolte ?
Georges-Edouard Dias : La révolte des consommateurs prend sa source dans l’augmentation constante des inégalités de pouvoir d’achat amplifiée par les crises financières et maintenant sanitaires : ce sont toujours les classes moyennes et inférieures qui en font les frais.
Le capitalisme tel que nous le vivons, s’il a permis de créer une société d’abondance, va cependant échouer socialement par son incapacité à mieux redistribuer les fruits de la croissance. Une majorité grandissante de Français (62% avant le début de la crise COVID) constate que les principaux bénéficiaires du capitalisme sont par définition, ceux qui disposent d’un capital qu’ils peuvent investir ; tant les revenus du capital sont toujours largement supérieurs en proportion à ceux du travail. Et bien sûr encore plus en temps de crises…
Ceci construit une société où il y a de moins en moins de « nantis », mais où chaque nanti dispose de considérablement plus de patrimoine, et où la classe moyenne se sent de plus en plus proche du seuil de pauvreté… D’où des tensions fortes, et une révolte qui risque d’aller bien au-delà de celle des consommateurs.
La probable multiplication des crises, notamment sanitaires et environnementales ne va qu’exacerber ce phénomène : il est urgent de redonner confiance au citoyen-consommateur, en montrant que le capitalisme peut se réformer en constituant une société de consommation plus redistributive, et donc plus pérenne.
MarketingIsDead : Plus que d’une révolte, tu parles d’une mutinerie ?
Georges-Edouard Dias : « Une mutinerie est une action collective de révolte au sein d’un groupe réglé par la discipline, les détenteurs de l’autorité étant généralement mis en cause avec vigueur ».
Voilà des années que les consommateurs se sont conformés aux modes de consommations proposés par la société, répondant avec discipline aux injonctions des marques, comme aux injonctions des autorités gouvernementales et religieuses auxquelles ils faisaient une large confiance. Cette ère de la confiance dans la société et ses institutions est aujourd’hui révolue, et le cercle de confiance se restreint aujourd’hui à ce qui est physiquement proche de soi, ceux que l’on connaît et qui nous connaissent : mes amis, mon entreprise, mes commerçants, mon médecin et mon pharmacien, mon maire…
La consommation est un marqueur essentiel de ce nouveau localisme, une manière de voter concrètement pour la société à laquelle on croit parce qu’on y existe. Les consommateurs deviennent des mutins au sens propre, ils désertent progressivement les casernes imposées de la consommation, pour s’organiser entre eux, dans une économie locale où la valeur générée par ce qu’ils consomment bénéficie d’abord à la communauté.
Les mutins prennent le contrôle de leur vie économique locale : ce n’est pas une révolte, qui impliquerait de la violence ; c’est la volonté d’exercer cette liberté fondamentale de consommer comme on le souhaite, et de s’assurer de l’impact positif de sa consommation autour de soi.
Rien de surprenant donc à ce que les consommateurs s’attaquent spontanément à tous ceux qui voudraient continuer à les diluer dans un modèle générique de consommation décidé au niveau national et orchestré par des chaînes de distribution uniformément réparties sur le territoire, au gré des ronds-points qu’ils finissent par prendre d’assaut. Il est urgent que notre société comprenne, accepte et même encourage cette nouvelle écologie de la consommation, où des communautés s’organisent pour mieux subvenir à leurs besoins essentiels, qu’ils soient dans le domaine alimentaire, énergétique ou dans les services de proximité. Demain, c’est de la création de valeur de ces communautés que se construira la prospérité de notre société ; la richesse du local alimentant la vitalité de l’économie nationale.
On ne peut plus imaginer aujourd’hui une économie nationale forte de son seul pouvoir central : la force et surtout la résilience d’une économie nationale se construira par la vitalité des cellules locales qui la composent.
MarketingIsDead : Le marketing aujourd’hui est-il en phase avec ce nouveau contexte sociétal … ou doit-il se réformer rapidement ?
Georges-Edouard Dias : Dès l’origine, le marketing s’est mis au service de la société capitaliste en servant d’abord l’intérêt des actionnaires, alors que sa mission est avant tout de servir l’intérêt des clients. Dopé par les technologies digitales, le marketing tend même à devenir aujourd’hui une grande table d’écoute destinée à espionner les consommateurs et à les formater dans un mode de consommation global au service d’un modèle unique de croissance des profits.
Plus le marketing va dans cette voie, plus il se marginalise aux yeux des consommateurs, qui se mutinent dans leur cercle de proximité, et plus la fonction marketing se marginalise au sein des entreprises en se diluant dans la data et le digital.
Il est temps de mettre le marketing en phase avec le consommateur : que ses capacités d’écoute, que son esprit de synthèse, que sa capacité d’imaginer une nouvelle société de consommation au service de chacun soient enfin mis à profit. En servant avant tout le consommateur, le marketing servira mieux l’entreprise, qui tire avant tout sa prospérité de la confiance et de la consommation de ses clients, et par voie de conséquence, l’entreprise servira mieux ses actionnaires et au-delà, les enjeux planétaires.
On ne peut pas espérer une transformation écologique, dont on sait qu’elle nécessite une évolution importante des modes de consommation, si ses bénéfices ne sont pas traduits concrètement dans la vie quotidienne de chacun. C’est le rôle du marketing aujourd’hui que d’épauler au sein des entreprises cette grande mission de sauvetage de notre planète en démontrant aux consommateurs le bénéfice concret qu’ils en tireront dans l’amélioration de leur vie quotidienne, pour eux-mêmes et pour leur communauté d’intérêt.
« La planète n’est pas à vendre, c’est pour cela qu’elle a tant besoin du marketing » (le nouveau manifeste des évidences, Adetem 2021).
MarketingIsDead : Tu évoques une nouvelle mission pour le Marketing …
Georges-Edouard Dias : A un moment où les consommateurs retrouvent leur confiance dans leur capacité de transformation de la société (selon le baromètre Edelman 2021, 64% des consommateurs Français se disent qu’ils ont le pouvoir de changer les choses, notamment dans les entreprises), il est important que se constitue au sein de la société en général et des entreprises en particulier une force capable de canaliser cette nouvelle expression des consommateurs pour qu’elle puisse déboucher sur des réalisations concrètes.
Qui mieux que le Marketing, centre d’écoute et d’analyse des souhaits et des attentes du consommateur, pourrait organiser cette expression, et forcer le changement au sein des entreprises ?
Dans la reprogrammation souhaitée par le consommateur de notre société de consommation, oui, le marketing fait naturellement partie de la solution.
C’est là la nouvelle mission du marketing, reprendre le contrôle de la gouvernance de l’entreprise pour la remettre d’abord au service de ses clients et de la planète. Ce n’est plus la Finance ou, pire, le Digital qui formera les CEOs de demain : ils seront tous issus (de nouveau) des rangs du Marketing!