Ne faisons pas bégayer l’histoire
Je suis d’une génération qui a découvert l’horreur nazie dans des expositions itinérantes où nous emmenaient nos parents : les murs étaient couverts de photos en noir et blanc prises à la libération des camps d’extermination et passait en boucle des chansons comme Nuit et Brouillard de Jean Ferrat. Nous avions du mal à réaliser que des hommes aient pu commettre de tels actes de barbarie contre d’autres hommes, juste parce qu’ils n’étaient pas comme eux, ne pensaient pas comme eux : ils étaient juifs, tziganes, homosexuels, communistes … Une cousine de ma mère est morte en déportation, des années après, je lisais toujours la même tristesse, la même incompréhension dans le regard de ses sœurs.
Puis l’Europe s’est construite et depuis aucun pays de l’Union européenne n’a connu de guerres sur son territoire national ; je sais, nous sommes en guerre contre le terrorisme, contre la finance, nous nous battons – et avec raison – contre toutes sortes d’oppression : mais malgré tout, malgré le traumatisme des tueries contre Charlie Hebdo et du Bataclan, rien n’est comparable aux charniers des deux Guerres Mondiales … sinon sans doute ceux de Srebrenica, à nos portes.
Certes, l’Europe commerçante d’aujourd’hui est consternante en regard des espoirs qu’avaient pu y placer ses fondateurs, et la gestion de ses multiples crises financières ne peut que souligner l’incapacité de ses dirigeants à la gouverner, et surtout, lui donner un avenir ; bien des progrès restent à faire, et bien des erreurs devront un jour être réparées : qui saura recréer la dynamique nécessaire ?
Certes, mais vouloir comme le souhaitent certains hommes et certaines femmes politiques, la faire exploser, constituerait le premier en direction de l’innommable : car ce que propose le Front National – entre autres – c’est à la fois faire de la France un pays refermé dans ses frontière, mais aussi un pays où seront livrés à la vindicte publique tous ceux qui ne sont pas tout à fait comme nous.
Comme l’étaient les juifs, les tziganes, les homosexuels, les communistes … Rajoutez … tous les autres, la liste de ceux que ses leaders n’aiment pas est longue. Sans compter que l’on pourra non seulement reconduire à la frontière tous ces parias, mais viendra également le jour où on passera les frontières … pour se battre contre tous ceux qui ne nous ressemblent pas vraiment.
Pendant les années noires de la seconde Guerre Mondiale, tous les Français n’étaient pas résistants, peu s’en faut ; quand je lis qu’aujourd’hui un Français sur deux ne voit aucun problème à ce que le Front National gagne les élections, je me dis que finalement l’histoire bégaie vraiment trop !
Si l’on ne s’en méfie pas, l’irréparable est en marche : je ne voudrais vraiment que mon fils emmène dans quelques années ses enfants visiter les mêmes expositions de l’horreur que celles auxquelles mes parents m’ont conduit.
Certains diront que l’extrême droite a changé, que ses dirigeants sont « présentables » : mais Hitler l’était suffisamment aussi pour que le peuple allemand le conduise à la Chancellerie en 1933.
Faisons en sorte que l’histoire ne se répète pas et que la barbarie ne frappe pas à nouveau comme il y a un peu plus de 70 ans.
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