Le contrat de marque à l’ère post post moderniste
Annonceurs et agences s’interrogent – questionnant sans relâche leurs experts : la crise risque-t-elle de durablement fragiliser les marques ?
Les optimistes affirmeront haut et fort que, crise ou non, les consommateurs auront toujours besoin de repères – et donc de marques fortes.
Les pessimistes souligneront que les mêmes consommateurs n’ont plus trop les moyens de se payer des marques, voire pire : qu’ils ont découvert qu’ils pouvaient aisément s’en passer sans dommage.
Tous ont raison … sauf que le débat ne s’est jamais réellement situé là !
Bien sûr, crise ou non, nous avons tous besoin de repères – donc de marques capables de jouer ce rôle ; mais c’est là que le bât blesse : trop de marques véhiculent d’inutiles promesses … et leurs clients s’en sont aperçu !
Balle au centre, donc ?
Non : ce n’est pas parce que certaines marques ne respectent pas leurs obligations que toutes sont condamnées à court ou moyen terme.
Ce n’est pas parce que de nombreuses marques n’en sont plus vraiment que celles qui respectent encore leurs obligations contractuelles à l’égard de leurs clients, devraient en pâtir définitivement.
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » : toutes les marques souffrent – et certaines ne s’en relèveront pas.
Le contrat de marque
De nombreuses marques n’en sont plus vraiment : mais qu’est-ce qu’une marque ?
Une fiction, un substitut – à un créateur, un fabricant, un artisan -, et une abstraction : c’est pour cela que l’on parle tant d’ADN, de personnalité de marque – juste pour oublier qu’une marque n’est pas, ne sera jamais, humaine.
Pourquoi et comment sont-elles apparues ?
On renverra à Procter & Gamble et à leur mythique savon Ivory, « un savon blanc peu coûteux d’une haute qualité égale à celle des savons importés de Castille », comme le rappelle encore le site du groupe : comment convaincre des millions d’américains de l’acheter ?
Par la publicité – 11 000 $ dans un magazine hebdomadaire.
Les marques se sont développées le jour où s’est définitivement rompue la relation entre producteurs et consommateurs, entre fabricants et clients ; où le vendeur ne pouvait plus convaincre son acheteur dans le cadre étroit de sa boutique : « Ceci vous donnera toute satisfaction ».
Mondialisation naissante de la production, généralisation du libre service : le monde devenait moderne – pénétrait dans l’ère moderne … ou du moins, du modernisme.
La marque a alors repris à son compte les droits et devoirs des créateurs / vendeurs auxquels elle se substituait, d’où l’idée d’un contrat de marque.
« Un contrat se définit comme une convention formelle ou informelle, passée entre deux parties ou davantage, ayant pour objet l’établissement d’obligations à la charge ou au bénéfice de chacune de ces parties », précise Wikipédia.
Le contrat de marque – convention évidemment informelle – précise les obligations à la charge du fabricant et au bénéfice du consommateur : en termes marketing, les avantages produits que garantit la marque à ses clients ; en retour, ce dernier les achète à leur juste prix.
Le contrat de marque trouve cependant une certaine formalisation dans le discours publicitaire – que l’on pourrait même définir comme l’expression la plus formelle du contrat de marque – que le consommateur signera, quant à lui, non de son sang, mais de son argent !
Le modernisme sera l’époque de ces annonces vantant des bénéfices, et un progrès, très concrets : ceux du « Avec Génie, je ne fais plus bouillir », des premiers réfrigérateurs, des premiers hypermarchés regorgeant de produits quasi magiques.
Postmodernisme
Le postmodernisme naîtra quant à lui, à la fin des Trente Glorieuses, quand les publicitaires découvrant qu’ils n’ont plus rien à dire des produits dont les annonceurs leur confient la destinée, se décident à qualifier … les acheteurs de ces produits.
Avant, on achetait une DS pour le plaisir, voire ce que Barthes nommait « une gourmandise de la conduite »[1] ! A partir des années 70, les cadres se rueront sur les BMW pour affirmer leur réussite sociale, comme le constatera Baudrillard : « Les objets […] ne « désignent » non plus le monde, mais l’être et le rang social de leur détenteur »[2].
Le postmodernisme sera l’âge d’une consommation désabusé, où le progrès ne sert plus vraiment les individus, mais leur permet juste de se différencier les uns des autres ; où on n’achète plus un téléviseur Sony pour son image mais pour son prix … élevé !
Le postmodernisme sera l’époque où tous les produits se ressemblent – Clio, Fiesta, Corsa, … : comment les différencier ? – et où des consommateurs blasés se rassurent en payant plus cher.
Jusqu’à la caricature quand Séguéla déclare : « Si on n’a pas de Rolex à 50 ans, on a raté sa vie ».
Mais que devient le contrat de marque à l’époque postmoderne ?
Rien : il vole simplement en éclats.
Car on ne peut inclure dans un contrat ce qu’on ne possède pas – ou que l’on ne maîtrise pas, ce qui revient au même. Un constructeur automobile peut garantir la nervosité d’un moteur ; pas le statut que son modèle conférera à son conducteur.
Ou du moins, plus aujourd’hui.
Post post moderniste
Le postmodernisme aurait pu durer longtemps – aussi longtemps que les publicitaires verrouillaient la communication marchande : la puissance du média télévisuel les y aidait grandement … sauf que le jour où Le Lay déclarait vendre à Coca-Cola « du temps de cerveau humain disponible », le tonneau des Danaïdes s’était réellement mis à fuir de partout.
Comme l’annonçaient dès 1999 les rédacteurs du Cluetrain Manifesto, « les marchés sont des conversations » : à côté du verticalisme de la publicité médias, naissait une communication citoyenne, horizontale, entre pairs.
Et les gens se sont tranquillement mis à discuter des produits et des marques qu’ils achetaient, non plus en en termes de signes, mais de réels bénéfices – et cela tombait bien, depuis un quart de siècle que leur pouvoir d’achat s’érodait (les revenus salariaux n’ont pas progressé en France depuis 1980 – Source : Insee.
Dès lors, ils allaient distinguer les vrais progrès des faux … car bizarrement avec Internet, fixe ou mobile, notre société s’était remise à avancer : alors que les publicitaires s’évertuent toujours à parler de signes, les consommateurs parlent d’usages ; il semblerait même que certains retrouvent un certain plaisir à consommer – utilement, s’entend – comme ce fut le cas de leurs parents et grands parents dans la France de l’après guerre.
Retour vers le modernisme ?
Paradoxe : alors que de nombreuses sont les marques qui se proclament haut et fort leur légitimité, alors qu’elles ne proposent aucun contrat réel, ce sont souvent celles à qui on dénie l’appellation – les no names, les sans marques – qui renouent avec le contrat original au travers d’un juste rapport qualité prix.
A méditer ...
Article parue dans la Revue des Marques de Juillet 2010
[1] Roland Barthes : Mythologies
[2] Jean Baudrillard : Pour une critique de l’économie politique du signe
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