Interviews Archives - Marketing is Dead
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Interviews

Le marketing, entre libertés individuelles et responsabilité collective, par Christophe Rougon.

Christophe Rougon, Responsable du marketing Stratégique, Groupe La Macif, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !

En avant-première, il répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? En réorientant son savoir-faire, en s’ouvrant, en conciliant. En redéfinissant la place et le rôle du marketeur dans l’entreprise et le corps social. » : que vous inspire cette réflexion ? ».

Christophe Rougon : « La question est abyssale tant le marketing fait débat depuis ses origines. Dans la bouche d’une majorité de nos concitoyens, il apparaît comme péjoratif. Il est davantage vu comme le bras armé d’un fonctionnement débridé du marché où la notion de besoin est largement dévoyée pour laisser la place à une consommation effrénée.

« Comme nous le rapporte l’étude Kantar – AFM de mai 2022 (1), le marketing serait le symbole des dérives du capitalisme. Pire encore… manipulation, mensonges et arnaques sont les mots auxquels il est associé …

« Qu’il semble long le chemin pour repositionner le marketeur dans les réponses aux défis du monde d’aujourd’hui. Associé à des impacts négatifs sur l’environnement et la vie privée, le fossé se creuse …

« Comme souvent les cordonniers apparaissent les plus mal chaussés … Les marketeurs n’ont pas su se vendre, et en premiers lieu au sein de leurs propres entreprises… Non que nos actions soient toutes vertueuses, mais pour la majorité, nous avons le consommateur et la marque chevillés au corps, avec cette volonté de bien faire notre métier en les respectant …

« Davantage que la recherche des causes, la question qui se pose à nous invite surtout à changer de prisme, à enrichir et renouveler nos pratiques au risque de devenir des boucs émissaires bien utiles…

« Une chose est claire, se poser cette question, c’est aussi reconnaitre que le marketing est vivant et que l’on espère encore de lui !

« Pour cela, peut-être faut-il revenir à une définition plus moderne du marketing comme par exemple celle proposée par l’AFM en 2016 : « Le marketing est une conception des échanges et un ensemble de pratiques qui vise à créer de la valeur durable pour l’ensemble des parties prenantes (individus, entreprises ou organisations) ».

« Il n’y est plus question de réponses ou de créations de besoins, mais « d’échanges » ; non plus de générations de profits, mais de « création de valeur durable ». Il serait un peut hâtif d’objecter que tout cela ne constitue qu’une évolution sémantique, laquelle cacherait alors les mêmes maux…

« Pour devenir responsable, le marketing doit revenir à l’essence de ses origines : inviter à une relation, initier de la confiance pour orienter le choix des consommateurs… mais en dépassant une logique purement transactionnelle. Ce n’est pas parce que les parties visibles de cette relation sont avant tout marchandes et financières que seules ces dimensions importent. Nous le savons mieux que quiconque, si c’était le cas, une bonne offre se réduirait aux diktats du contrôle de gestion.

« Face aux défis d’un monde en polycrises, les clients/citoyens attendent des entreprises et des marques qu’elles prennent leur part dans les solutions(2). Elles ne peuvent plus faire comme si elles ne savent pas, comme si elles ne peuvent pas.

« En réinvestissant son rôle d’interface entre l’entreprise et ses marchés, le marketing est à la meilleure place pour la positionner au sein de son environnement. A lui de prendre l’initiative et devenir l’animateur qui interroge la marque sur ses valeurs et sa place dans la société. En initiant et portant cette interrogation au sein de l’entreprise, en la faisant centrale par l’association de tous les acteurs de son écosystème, il devient l’artisan de la réponse qu’attendent les clients/citoyens d’une marque responsable.

« Cette quête de sens et d’alignement à laquelle nous aspirons individuellement, se traduit par des convictions fortes dans l’élaboration des actions. Le résultat ne saurait alors se limiter à une simple adaptation des messages de communication comme c’est encore trop souvent le cas. Dans ce village mondial connecté, ce serait l’assurance de risques à court terme… une évidence trop souvent oubliée…

« Comme toutes convictions, elles ne s’envisagent qu’au prix de renoncements. De la même façon que les clients choisissent une marque, nous, marketeurs, avons quelques difficultés à accepter une vision limitée de notre marché. Avec la croissance pour maître mot, ce serait faillir … nous avons été formés pour cela ! Pourtant, comme la possible finitude de ce monde, nous oublions trop souvent la dimension temporelle de la relation d’un client avec sa marque. Choisir ses clients pour investir avec eux sur un temps long est une voie royale vers la rentabilité, nous le savons pourtant. Mais au quotidien nous œuvrons souvent à son contraire à coup d’expédients promotionnels ou d’artifices pseudo-innovants…

« Se réinventer pour retrouver des marges de libertés, c’est aussi s’éloigner d’une certaine facilité, d’une approche mécaniste largement outillée par  des outils digitaux. De s’abstraire du mythe confortable selon lequel les algorithmes auront la bonne réponse, que mieux qu’un humain, ils désignent ce qui est bon pour la diffusion de nos offres. Au-delà des modèles engouffrant toujours plus de datas pour nourrir des recommandations et des A/B test, il faut réinvestir la réflexion amont sur les réelles plus-values apportées par notre offre et les bénéfices qu’elle apporte à son utilisateur. Là encore revenons aux fondamentaux de notre matière qui plus qu’une science recèle encore fort heureusement une forme d’artisanat : réfléchir aux fonctions de son œuvre, adapter ses techniques à la situation et ne pas craindre de reprendre l’ouvrage…

« Il ne s‘agit pas de pêcher par naïveté, les contraintes financières de l’entreprise et celles du marché sont autant d’aiguillons du temps court qui rythment notre métier. Mais peut être aussi, nous sommes nous perdus dans une certaine forme de schizophrénie en déclamant des valeurs que nos pratiques n’incarnent pas. Dans ce réseau mondial ouvert, exigeant, l’alignement est un facteur puissant de confiance. La plupart des postures sont acceptables à condition qu’elles soient clairement présentées et pleinement assumées sans écarts avec la réalité. En cela nous avons aussi pour missions d’éclairer nos dirigeants afin qu’ils envisagent d’autres voies que celles qui semblent toutes tracées par des décennies de pratiques. Le monde change et nous pouvons modestement mais utilement être des éclaireurs pour réconcilier entreprise, marché et société.

« Faire du marketing n’est pas travestir, mais défricher et investir dans la juste perception de nos offres par d’autres humains. Nous avons ce talent et cette pédagogie, nous pouvons efficacement les mettre au service de nos marques et du rôle qu’elles désirent jouer. Le chemin est long et tumultueux, mais pas impossible. Certains s’y essayent…

« Oui, s’il veut retrouver sa liberté d’action, le marketing doit devenir plus responsable. Une grande liberté implique de grandes responsabilités… 

(1)     Etude Kantar / AFM – Quelle est l’image du marketing auprès des français – Mai 2022

(2)     Etude Opinionway / CCI France – les français et les entreprises quelles attentes pour 2024 – janvier 2024

Le marketing pour humaniser et simplifier un monde complexe, par Kamel Ouadi

Kamel Ouadi, CMO de Devialet, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !

En avant-première, il répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Seul le marketing peut générer du désir autour des 3Ps (Planet, People, Profit), et permettre l’éclosion harmonieuse de l’écologie nécessaire à la prospérité de l’entreprise et au-delà de notre société. Le marketing doit humaniser et simplifier un monde devenu trop complexe pour être hospitalier. Et redonner à notre société l’envie de faire affaire avec ce monde tel qu’il est«  : que vous inspire cette réflexion ? ».

Kamel Ouadi : « Le marketing a effectivement un rôle crucial dans la manière dont il peut humaniser et simplifier un monde devenu de plus en plus complexe. Dans un contexte où les consommateurs sont confrontés à une surcharge d’informations et de choix, le marketing doit se transformer pour répondre à ces défis.

D’abord, l’humanisation dans le marketing signifie créer des connexions authentiques avec les consommateurs. Cela implique de comprendre et de répondre à leurs besoins, émotions et valeurs. Un marketing efficace ne se contente pas de vendre un produit ou un service, il raconte une histoire qui résonne avec les expériences et aspirations des individus. En mettant en avant des témoignages réels, des histoires inspirantes et des valeurs partagées, le marketing peut rendre les marques plus accessibles et empathiques, générant un lien de confiance entre les consommateurs et les marques.

Simplifier le monde complexe signifie clarifier les messages et rendre les messages et les offres plus compréhensibles. Face à une avalanche de choix et de données, les consommateurs recherchent des informations claires et directes. Le marketing doit s’efforcer de distiller des messages complexes en propositions simples et percutantes, facilitant ainsi la prise de décision. En construisant des plateformes de marques puissante et en simplifiant le langage, les visuels et les processus d’achat, le marketing aide les consommateurs à naviguer sans aucun doute dans un environnement complexe. »

Le marketing entre libertés individuelles et protection du bien collectif, par Leonore Dobbelaere

@Leonore Dobbelaere, Directrice des marchés clientèle des particuliers de La Banque Postale, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !

En avant-première, elle répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? » : que vous inspire cette réflexion ?

Leonore Dobbelaere : « La conjugaison entre libertés individuelles et protection du bien collectif est une question qui devient essentielle dans nos sociétés aujourd’hui hyperconnectés.

« Elle se traduit pour le marketing à trouver un équilibre entre une segmentation poussée à l’extrême pour répondre au plus près au besoin du consommateur ou du client (dans une relation quasi One to One) et la nécessité de maintenir des économies d’échelle qui permettent à la fois de communiquer dans un mode One to Many, et de conserver des prix accessibles de manière à pouvoir servir le plus grand nombre,  tout en intégrant les contraintes  sociétales et environnementales qui s’imposent à  nous pour protéger le bien commun.

« Le marketing a donc plus que jamais un rôle à jouer dans la recherche de cet équilibre instable en se confrontant à des tendances qui émergent comme par exemple la déconsommation, ou l’hyperpersonnalisation et le retour à l’artisanat »

Et si le marketing se réinventait, par Valérie Brisac

Valérie Brisac, Directrice générale de la Communauté des Entreprises à Mission, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !

En avant-première, elle répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? En réorientant son savoir-faire, en s’ouvrant, en conciliant. En redéfinissant la place et le rôle du marketeur dans l’entreprise et le corps social. » : que vous inspire cette réflexion ? »

Valérie Brisac : « Se poser cette question, c’est reconnaître que la responsabilité collective a été trop longtemps ignorée. Il est temps en effet de rééquilibrer liberté et responsabilité, car il n’y a pas de liberté sans responsabilité, que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau des individus. Nous sortons tout juste d’une sorte de cécité collective, où le « toujours plus », la création de nouveaux besoins sans limites n’était pas questionnée, du moment que cela servait les intérêts de l’entreprise et que le marché répondait. Des générations de consommateurs ont grandi dans un système où le marketing a glorifié la consommation, en a fait un marqueur social, de différenciation, voire de source unique du bonheur, sans se préoccuper des impacts de ce modèle. Aujourd’hui, on voit bien que cela ne tient plus, tant les signaux, les études, les alertes fusent de partout, et que la société est en attente d’un autre discours.

« Se réinventer : c’est vraiment le mot, tant le changement nécessite un rétropédalage complet, et ce à plusieurs niveaux. Il faut commencer par prendre conscience du fait que l’entreprise a un pouvoir très important, à la fois dans sa proposition de service mais également sur la culture, les messages qu’elle transmet, et les moyens dont elle dispose. Ce pouvoir oblige, et les marketeurs doivent reprendre les sujets à la base : au niveau des produits et services (en quoi ce que l’entreprise propose est utile ? de qualité ? apporte des bienfaits ? en quoi le modèle de production est-il responsable ?) ; des messages (quels comportements l’entreprise essaie-t-elle d’induire ? favorisent-ils le collectif ?) ; des canaux (comment est-ce que je m’adresse à mon marché ? est-ce responsable ?), etc. C’est tout le système de pensée qu’il faut remettre à plat.

« Le marketing ne peut se réinventer seul, il lui faut un mandat clair de la part de la gouvernance. Sans changement de logiciel, les marketeurs ne pourront pas changer structurellement les choses, si le seul indicateur reste celui du résultat à court terme. Les équipes marketing pourront proposer, tester de nouvelles approches, mais ne pourront pas aller plus loin sans changement de stratégie et d’indicateurs de performance. C’est le propre des entreprises à mission que de donner la possibilité à la gouvernance d’adopter une nouvelle boussole, qui rééquilibre justement liberté et responsabilité. Ce cadre laisse toute sa place à l’innovation, à la créativité des équipes R&D, marketing, au service d’objectifs conjuguant intérêt économique et impacts positifs pour l’environnement et la société.

« La bonne nouvelle, c’est que dans ce nouveau cadre de liberté d’action, le marketing peut faire des merveilles au service d’un nouveau récit, tant son pouvoir est grand. Imaginons tous les savoir-faire des marketeurs dédiés à la redéfinition de la proposition de valeur : nouvelle raison d’être de l’entreprise, capacité d’innovation, veille sur les attentes profondes de la société, choix d’influenceurs, de canaux de communication, de nouveaux éléments de langage … Tous ces talents, ces outils, cette expérience accumulée, mis au service d’un nouveau projet permettant d’articuler liberté et responsabilité, peuvent très concrètement changer les choses, ringardiser certains modes de consommation et en valoriser d’autres. Et ce faisant, remobiliser les équipes autour d’un projet servant non seulement l’entreprise, mais aussi la société dans son ensemble ».

Le Marketing digital de @ à Z, rencontre avec Yann Gourvennec

MarketingIsDead : Avec ton complice Hubert Kratiroff, tu viens de publier la nouvelle Bible du marketing digital, mais n’est-ce pas aujourd’hui un truisme ? Peut-on faire du marketing non digital ?

Yann Gourvennec : Commençons par préciser que ce terme de « nouvelle Bible du marketing digital » n’est pas de notre fait. C’est la phrase qui a été choisie par Jean-Philippe Timsit pour qualifier notre livre. La modestie nous impose cette précision.

Effectivement, ta question est tout à fait pertinente et c’est la première que nous nous sommes posée à nous-mêmes. Pourquoi écrire un livre sur le marketing digital en 2024 alors que cela devrait être une évidence ? Nous sommes tous utilisateurs d’outils digitaux, tous les marketeurs utilisent le digital, le digital est dans tout et tout se fait avec au moins une dose de numérique. Même le marketing traditionnel s’appuie sur des technologies digitales, on n’y échappe pas, elles sont omniprésentes. De là à ce que tous les marketeurs soient au fait des subtilités de cette discipline, par ailleurs fort large et hyper segmentée…

Tel est notre constat de praticiens sur le terrain, mais aussi d’enseignants dans les écoles, aussi bien auprès des formations initiales que continues, nous amène à penser qu’une grande marge de progression est encore possible dans ce domaine.

Certes, le Web s’est imposé à tous depuis 30 ans, et il devrait être une seconde nature, mais force est de constater que la pratique n’est pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu. D’une certaine manière c’est un peu normal, le marketing digital est une matière à la fois technique et marketing, une sorte d’alliance entre ces deux domaines, d’où notre prédilection pour ces nouveaux profils que nous nommons « full-stack marketers » en forme de clin d’œil.

Or, les « full-stack marketers » ne sont pas si nombreux que cela. Même dans les écoles et avec les générations prétendument digital natives, beaucoup d’acculturation est nécessaire. Dans un sens c’est une bonne chose, cela veut dire que nous avons encore du travail pour quelques années.

Tel était le but de ce livre, se présenter comme un nécessaire rappel aux fondamentaux, mais ce n’est pas tout.

Le Web et le monde de l’Internet traversent une période fort complexe, qui n’est pas décorrélée de la complexification croissante du monde qui nous entoure. Ceci nous oblige à rebattre les cartes en permanence. Ce n’est pas spécialement nouveau, mais l’accélération de ces dernières années est patente.

Et pas seulement à cause du Covid ni de l’intelligence artificielle. Mais aussi de la généralisation du mobile, de la complexification du SEO, du SEA, du content marketing, bref du bouleversement de ces fondamentaux qui n’étaient déjà pas encore digérés par le monde de l’entreprise.

En résumé, il n’est pas illogique de faire un livre sur le marketing digital aujourd’hui, c’est même une véritable nécessité, peut-être même que l’urgence n’en a jamais été autant ressentie que dans ces dernières années.

MarketingIsDead : Votre livre regorge des infos les plus actuelles, mais avec le développement des IA dans combien de temps sera-t-il obsolète ?

Yann Gourvennec : Nous sommes bien conscients de la durée de péremption des technologies.

Et c’est pour cela que nous inscrivons toujours nos livres dans le temps long. Il faut donner, c’est ce qui manque beaucoup aux professionnels, une vision et des outils pour pouvoir décrypter les technologies dans la durée et non dans l’instant. Or, c’est une constante de cette période d’essayer d’écrire l’histoire des technologies en temps réel, ce qui n’est pas possible. Car les innovations prennent souvent beaucoup de temps pour s’instaurer dans les usages et dans nos sociétés. C’est contre-intuitif, à l’heure où on parle, souvent à tort et à travers, d’accélération numérique.

Il est une sorte de miroir aux alouettes notamment dans cette période qui est marquée par les IA génératives. Et on y retrouve d’ailleurs systématiquement notre schéma de digestion des technologies, comme pour les innovations du passé. Sans oublier d’ailleurs que l’intelligence artificielle elle-même est un vieux champ d’application, puisque j’ai moi-même démarré ma carrière informatique dans ce domaine.

D’une part, il est une tendance à exagérer les promesses de la technologie avant même d’en avoir réellement évalué la portée (ce qui prend souvent quelques années). Et d’autre part, on trouve les hypothèses négativistes qui tendent à minimiser l’importance de la technologie ou à en souligner uniquement les côtés néfastes.

Bernard Stiegler, le philosophe qui nous a quittés malheureusement il y a quelques années, décrivait ces technologies comme des « Pharmakon ». Par là il voulait dire qu’elles étaient à la fois le mal et le remède. C’était très bien vu il faut être capable d’embrasser cette ambivalence et de la comprendre pour pouvoir véritablement voir où va cette technologie. Et ne pas croire que les miracles ni les catastrophes arrivent instantanément.

C’est pour cela qu’au travers du livre, nous fournissons des outils comme notre matrice de la digestion des technologies.

MarketingIsDead : Au millénaire dernier Christopher Locke et ses copains du Cluetrain manifesto lançaient un lapidaire “Markets are conversions”.  Finalement n’est-ce pas toujours ça la base du marketing digital ? Le reste n’est-il pas que des outils qui vieilliront plus ou moins vite et plus ou moins bien ?

Yann Gourvennec : Nous sommes bien entendu comme toi des disciples de Doc Searls[1] et ses compagnons. Ce mantra, qui avance que les marchés sont la résultante de conversations entre clients, est effectivement le fondement du marketing. Et d’ailleurs c’est pour cela que la dernière partie du livre, la septième, est entièrement dédiée au marketing du bouche-à-oreille, une discipline injustement méconnue en France et peu enseignée, que je contribue moi-même à professer depuis maintenant plus de 17 ans.

C’est un sujet fondamental qui va bien au-delà des outils. D’ailleurs mon cours inclut les médias sociaux, mais les place en dernier, car ils ne sont que la partie visible du bouche-à-oreille, non sa partie majoritaire.

Il faut donc effectivement revenir aux fondamentaux et c’est pour cela que nous fournissons ces outils méthodologie qui sont plus de l’ordre de l’approche stratégique et qui seront toujours valables. Dans 100 ans, on pourra encore relire cette partie sur le marketing du bouche-à-oreille, sans doute que l’on devra l’adapter à la marge, mais ses fondamentaux seront toujours vrais.

Est-ce qu’il y aura encore à cette époque-là des médias sociaux dans la forme où on les connaît aujourd’hui, j’en doute grandement? D’ici là, d’autres formes de technologies d’échange et de communication auront émergé et c’est tant mieux. Car depuis le temps que nous travaillons sur les médias sociaux professionnels (LinkedIn a fêté ses 20 ans l’an dernier), le monde a beaucoup changé, un besoin de nouveauté se fait sentir grandement qui n’est pas encore satisfait par les nouvelles plates-formes sociales (Bluesky, Threads…), qui arrivent sur le marché et qui ne réussisent d’ailleurs pas à détrôner X.com.

En conclusion, tu as parfaitement raison, il faut être capable de dépasser les outils, mais force est de constater que les utilisateurs sont attirés par eux. Ils sont à la fois fascinés et effrayés par les technologies. C’est pour cela que nous leur conseillons nos logiciels et services en ligne favoris, à la fin de chaque chapitre et tout au long du livre.

Nous sommes donc face à un paradoxe intéressant.

Les technologues chevronnés savent utiliser ces outils et les regarder avec du recul, de manière rationnelle, sans fantasmer, ni paniquer. A nous d’apprendre aux professionnels et futurs professionnels de garder la tête froide, même en ce moment où le monde entier perd la raison à vouloir la sous-traiter à des machines.

Ils savent qu’il faut du temps pour qu’une technologie trouve sa place dans les usages et qu’on puisse dire en fin de compte : « est-ce que cela m’a fait gagner du temps et est-ce que je suis plus efficace avec cet outil ».

C’est seulement avec ce temps et ce recul que l’on peut véritablement évaluer l’efficacité du numérique et du marketing digital en particulier.


[1] Voir https://vismktg.info/searls

Marketing et sobriété : rencontre avec Gaël Queinnec

Consommer moins pour consommer mieux : par conviction ou par obligation, la sobriété s’impose aux consommateurs ! Mais comment le marketing saura-t-il répondre à ces nouvelles exigences sociétales ?

Ce sera le thème de matinée organisée le Pole Prospective de l’Adetem le 3 Octobre prochain (inscriptions ici) ; en avant-première, un des intervenants, Gaël Queinnec, Directeur de la Prospective de Michelin, répond à nos questions.

Question : Volontaire ou subie, la sobriété s’impose dans la consommation des Français : comment percevez-vous cette nouvelle tendance ?

Gaël Queinnec : Le marché du pneu, qui n’est pas franchement un achat glamour, est plutôt celui du juste nécessaire. Voire même en deçà du nécessaire, les pneus lisses restant une cause majeure d’accidents en France. Donc nous nous sentons à l’abri de la surconsommation compulsive. Mais la tendance nous semble à la fois forte et générale, et dans les biens utilitaires comme le nôtre, elles se traduit par une attente sociétale (prochainement une obligation légale ?), d’accompagnement des cibles vers la consommation raisonnée. Aujourd’hui un produit est accompagné d’une notice sécuritaire, demain cette notice sera aussi planétaire : comment prolonger la durée de vie, maîtriser son usage, etc.

Question : Et comment vous adaptez-vous, voire la mettez-vous en œuvre dans votre entreprise ?

Gaël Queinnec : Pour ce qui concerne strictement notre produit phare, le pneu, nous sommes historiquement positionnés sur la durée de vie. Il nous suffira donc d’en parler plus fort. Mais nous sommes aussi l’accessoire d’un produit, la voiture, qui ne s’inscrit que très marginalement dans une logique de sobriété et consomme de plus en plus de planète pour un même service, même si sa consommation d’énergie à iso-masse diminue, entre autres grâce à des pneus de haute technologie.

Ce paradoxe anime beaucoup de débats internes, qui sont loin d’être tranchés. Quand quelqu’un utilise un SUV de 2 tonnes pour faire un trajet solitaire en ville que d’autres font avec une citadine d’une tonne, notre responsabilité peut-elle s’arrêter à contribuer à réduire la consommation du SUV ? Ou devrait-on œuvrer pour diminuer ces cas d’usages questionnables ? Si oui, comment et de quel droit ? Et si pour d’autres usages le SUV est justifié, faut-il alors inciter à utiliser 2 véhicules différents, ce qui serait environnementalement bien pire ? Je viens aussi à cette table ronde pour chercher des éléments de réponse !

Métavers : à vos marques, foncez !

Directeur de l’innovation et de la transformation digitale dans le secteur de la banque et de l’assurance, et déjà auteur d’Innover ou disparaître, Olivier Laborde vient de publier avec Eloïse Bussy, Social Commerce. Réseaux sociaux, gaming, métavers : à vos marques, foncez !

Rencontre avec l’auteur, qui sera aussi un des invités du Pole Prospective de l’Adetem le 18 avril à 9 heures – inscription bientôt en ligne ici – où il nous parlera des startups rencontrées au CES de Las Vegas.

MarketingIsDead : Tu publies un livre sur le social commerce … mais le social commerce, ça ne marche pas vraiment, et Meta rétropédale …

Olivier Laborde : En effet, mon dernier livre traite du social commerce et de l’opportunité pour les marques de faire du business sur les plateformes sociales.

Pour mieux cerner l’éventuel écart de perception, commençons par dire que le social commerce est le fait d’utiliser des médias sociaux pour vendre des produits et services, en utilisant les boutiques de ces réseaux et autres solutions d’achat natives. Jusque-là cantonné aux réseaux sociaux, nous élargissons son périmètre à l’ensemble des plateformes sociales, c’est à dire au gaming et aux métavers.

Au contraire de ton affirmation, cela marche plutôt bien sur le volet du commerce sur les réseaux sociaux si l’on en croit les chiffres ! Les ventes de commerce social auraient atteint 492 milliards de dollars dans le monde en 2021 selon Accenture, et 727,6 milliards en 2022 selon Statista.

Le social commerce sur le gaming est encore jeune, celui sur les métavers se développera lorsque ces plateformes deviendront matures.

MarketingIsDead : Tu pointes le Métavers comme nouvel horizon pour le social commerce : mais le Métavers, ce n’est pas juste un toilettage de Second Life, une fuite en avant, sans réel avenir ?

Olivier Laborde : Comme je l’ai indiqué, les métavers sont des plateformes sociales émergentes, elles font le buzz mais il faudra plusieurs années avant que l’usage devienne mainstream. Le métavers est un jeu à long terme.

Second Life était peut-être un métavers 1.0. La différence est qu’aujourd’hui les technologies sous-jacentes au métavers arrivent à maturité. La technologie graphique et la connectivité internet ont considérablement progressé depuis. L’illusion d’un monde vivant et immersif est plus convaincante et les activités proposées se rapprochent de l’expérience dans le monde réel. Par ailleurs, la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont gagné en maturité et deviennent « mainstream » en possibilité d’usage avec de nombreuses applications pour le grand public.

Nous passons en moyenne 2h30 par jour sur les réseaux sociaux, nul doute que nous passerons du temps dans les métavers qui sont un internet immersif et en 3D. Selon Gartner, d’ici 2026, 25% de la population passera au moins une heure par jour dans le métavers pour le travail, le shopping, l’éducation, les activités sociales et/ou les divertissements.

MarketingIsDead : Alors, finalement, quel pourrait être la voie ultime pour faire du business sur le Web ? A quoi ressemblera l’Amazon de demain ?

Olivier Laborde : Les marques doivent viser à offrir une expérience sociale unique et agréable qui suscite des émotions. Les innovations telles que la personnalisation, les interfaces conversationnelles, la vidéo, la gamification et les nouveaux territoires d’expression comme les jeux et les métavers sont essentielles pour créer des expériences engageantes qui transforment les clients en consommateurs fidèles et en défenseurs de la marque.

Les marques qui souhaitent toucher un nouveau public de manière efficace disposent de nouveaux espaces d’expression et de séduction. Jeux vidéo et métavers pourraient être les nouveaux Eldorados des marques.

Pour réussir dans ces nouveaux espaces, les marques devront être authentiques et créatives, car les utilisateurs interpelleront les marques qui se trompent. Elles ne pourront pas faire de la publicité dans une communauté comme Fortnite sans autorité, surtout si la marque n’est pas endémique.

Au final, les marques devront proposer du « shoppertainment » un concept innovant qui combine deux activités en une seule : faire ses courses (shop) et se divertir (entertainment).

Rencontre entre un créateur de marque et une AI

A l’heure de ChatGPT, peut-on encore envisager la création de marque comme … l’an passé, quand l’AI ne se positionnait pas encore en challengeur des créatifs : j’ai posé la question à Marcel Botton, le fondateur de Nomen.

MarketingIsDead : Marcel Botton, tu as fondé Nomen, agence de création de marque, en 1981 : depuis, la profession a beaucoup évolué ?

Marcel Botton : La profession de « Nominateur » a bien évolué au cours de ces dernières années. Il convient aujourd’hui de prendre en compte les noms existants de domaine, bien sûr, mais aussi les noms d’applis, de blogueurs, d’avatars, etc. La dématérialisation a accru l’extension géographique des noms et marques, d’où la nécessité de maîtriser encore mieux les évocations dans les différentes langues, ce qui nous a amené à renforcer encore l’importance de notre réseau de validation culturelle : plus de 100 pays aujourd’hui !

Un corollaire de ce qui précède est que se développent de plus en plus aujourd’hui des marques sans signification précise, mais constituées de mots courts, souvent 4 lettres, pouvant s’écrire directement dans le logo de l’appli, et faciles à prononcer dans les principales langues. Avec souvent des lettres un peu rares, X, W, Z, Y, K, compte tenu du relatif encombrement !

MarketingIsDead : Aujourd’hui, de nouveaux challenges pointent le nez, avec notamment l’arrivée de l’AI et des systèmes comme ChatGPT …

Marcel Botton : L’arrivée de l’intelligence artificielle, que nous utilisons déjà, va libérer du temps de nos équipes, pour leur permettre de se consacrer à ce que les AI ne savent pas faire aujourd’hui : imaginer des territoires de marques innovants, explorer des champs de création vierges. Il en va de la création verbale comme de la création visuelle, la formidable puissance des AI leur permet de faire du « à la manière de … ». Mais elles ne savent pas créer une nouvelle disruption, ce qui reste aujourd’hui le territoire des créateurs. »

MarketingIsDead : Ces systèmes fascinent certains, effraient d’autres : en dépassant le seul cadre du marketing, ils posent de multiples problèmes éthiques …

Marcel Botton : Quant à l’éthique des IA, il est clair que ce sujet est central aujourd’hui. Chez Open AI, l’éthique est l’objet d’une super vigilance, au point qu’il est impossible d’obtenir par exemple de DALL-e, leur créateur AI d’images, une simple caricature de Macron, alors qu’on peut obtenir celle d’Abraham Lincoln. Chez Alphabet-Google, il se dit que c’est par crainte de problèmes éthiques que leur AI n’est pas encore en ligne. Par crainte d’immoralité, on risque de censurer l’impertinence. Peut-être que le fameux test de Turing, permettant de distinguer un logiciel d’un humain, pourra être validé par des questions immorales ? Les mois à venir s’annoncent passionnants.

Raison d’être, raison d’y être, raison d’en être

Jean Watin-Augouard vient de publier : Raison d’être, raison d’y être, raison d’en être, sous-titré de manière plus explicite : « Conjuguer la raison d’être de l’entreprise avec la vocation de ses salariés » ; petite rencontre avec un « historien des entreprises et des marques », comme il se définit lui-même.

MarketingIsDead : Face à la multiplication des crises actuelles – épidémies, changement climatique, pénurie énergétique, etc. – tu évoques « la prise de conscience d’un destin commun à l’humanité [qui] conduit les entreprises à ne plus se considérer comme une partie du problème, mais comme une partie de la solution » : peux-tu préciser ?

Jean Watin-Augouard : L’entreprise, hier vouée aux gémonies, longtemps associée aux méfaits du capitalisme financier, « exploiteur », « prédateur », « destructeur », trouve, aujourd’hui, si ce n’est ses lettres de noblesse, du moins celles de sa responsabilité. Responsabilité à géométrie variable qui porte aussi bien sur les hommes, ses produits, la société, la nature… Les mots positifs ne manquent pas qui la qualifient d’entreprise « humaniste », « citoyenne », « engagée », « durable » loin d’être des oxymores. RSE devient un acronyme que ses seules lettres suffisent à comprendre. C’est par ses « impacts » – mot un peu galvaudé car mot devenu mot valise – que l’on mesure dorénavant comment et pourquoi l’entreprise est « une partie de la solution ». On va jusqu’à proposer, après les Nutri-Score et autre cosmeto-score, un impact-score[1].

D’un mal nécessaire l’entreprise serait-elle devenue un bien utile ? Il suffisait, pour s’en convaincre, d’assister récemment à quelques ateliers proposés par le salon Produrable. Où les entreprises, aussi bien de production que de services, rivalisaient d’innovations portant qui sur la biodiversité dans la chaîne de valeur, qui sur la nouvelle gouvernance associant RSE et finance, l’économie circulaire…Hors de l’entreprise, point de salut ? Prenons garde au greenwashing et autre purpose lui aussi washing. Certains étudiants ne si trompent pas qui flairent la supercherie, duperie qu’ils dénoncent dans leurs discours lors des remises de diplômes[2]. Récemment, on pouvait lire dans Les Echos ces mêmes étudiants prévenir « Nous ne travaillerons plus pour Total, sauf si… »[3] L’entreprise, une partie de la solution ? Oui mais pas n’importe laquelle avec n’importe quelle entreprise chez qui on viendrait… par hasard !

MarketingIsDead : On aurait interrogé n’importe quel patron il y encore 20 ans sur la finalité de son entreprise, il n’aurait pas hésité à répondre : gagner de l’argent. Aujourd’hui, les choix apparaissent plus vastes : » Doit-elle être une entreprise à profit comme l’intimait Milton Friedman ? Ou être une entreprise à mission comme le suggère Pascal Demurger, directeur général de la Maif ? Ou les deux et pour quel bien commun ? » C’est quoi, finalement, le bon choix aujourd’hui ?

Jean Watin-Augouard : De fait, et sans remonter au temps du paternalisme et du capitalisme industriel, quand quelques grands patrons (les Menier, Peugeot, Schneider…) se préoccupaient du sort de leurs ouvriers en mettant en place les lotissements d’ouvriers et les premières assurances sociales, aux origines de notre Sécurité sociale, il fut un autre temps, plus récent, celui du capitalisme financier qui plaçait le profit au cœur du réacteur. Le « théorème » d’Helmut Schmidt, chancelier d’Allemagne (alors de l’Ouest) « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain » venait justifier la finalité de l’entreprise intimée par Milton Friedman.

Mais les temps changent et le capitalisme semble de nouveau muer : industriel (début du 20ème siècle), managérial (années 1950), et financier (années 1980), il serait devenu responsable, humaniste ! Comme en témoigne le nouveau théorème d’Emery Jacquillat, pdg de la Camif : « Le renoncement d’aujourd’hui est le profit de demain ». Il le prouva en étant le premier à renoncer au Black Friday et ses juteux profits d’un jour – son meilleur jour de ventes annuelles – pour ceux, plus importants, des jours et années suivantes. Il lança, ce même jour, 23 novembre 2017, le concept du renoncement responsable et profitable en fermant son site internet aux promotions massives. Depuis, plus de 1 000 sites ont suivi le mouvement baptisé « Make Friday green again ». Au reste, n’est-il pas co-fondateur de la Communauté des entreprises à mission, qu’il préside ! Qu’elle soit entreprise « à mission » – 750 en octobre 2022 – ou labellisée « b corp », l’entreprise n’est-elle pas d’abord une communauté de destin, animée tous les jours par les hommes et les femmes qui construisent un futur « souhaitable » ?

MarketingIsDead : Tu écris : « Il n’est de raison d’être de l’entreprise sans raison d’y être des salariés par leur présence physique dans les bureaux et usines et d’en être par leur présence mentale, leur engagement, leur appropriation de sa raison d’être » ; et plus loin qu’il faut « replacer l’humain au cœur de cette transformation » : c’est nouveau cette prise de conscience de l’importance du capital humain ?

Jean Watin-Augouard : Le concept de « capital humain », de « ressource humaine », trouverait son origine, selon Johann Chapoutot, dans le nazisme et plus particulièrement dans la méthode de management, dite « de Bad Harzburg », de l’ancien général de la SS Reinhard Höhn, fondateur, dans les années 1950, d’un institut du management qui, jusqu’en 2000, dispensera ses méthodes à 700 000 cadres des plus grands groupes industriels.

Je préfère le concept de « vocation », levier d’une transformation managériale radicale, l’entreprise devenant un possible creuset de révélation et d’accomplissement de la vocation de ses salariés. Celle-ci s’entend comme raison d’être ou finalité de la personne sur Terre, fil conducteur qui relie ses actes, ses engagements tout au long de sa vie et leur donne sens. Pour l’heure, le salarié qu’on nomme « collaborateur » quand il n’est que « subordonné » est toujours dans un lien juridique de…subordination. Son employeur a le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution et de sanctionner ses manquements. Il peut lui imposer un lieu et une durée de travail. Comment dès lors attirer les jeunes, les recruter, les engager quand leurs attentes portent sur davantage d’autonomie, de responsabilité, de forces de proposition ! Le rapport de force employeur/employé change au profit du second. Le pacha du navire et celles et ceux qui travaillent dans les salles des machines sont désormais engagés pour relever ensemble les nombreux défis environnementaux.

MarketingIsDead : Devant une foule de patrons incrédules lors des Assises nationales du CNPF de 1972, Antoine Riboud déclare : » Nous devons nous fixer des objectifs humains et sociaux, c’est-à-dire : d’une part, nous efforcer de réduire les inégalités excessives en matière de conditions de vie et de travail ; d’autre part, nous efforcer de répondre aux aspirations profondes de l’Homme et trouver les valeurs qui amélioreront la qualité de sa vie en disciplinant la croissance. Il conviendra ensuite d’appliquer ces valeurs dans la vie collective et dans la vie de l’entreprise ». En avance de 50 ans, Antoine Riboud?

Jean Watin-Augouard : Preuve qu’il était visionnaire et que son discours est plus que jamais d’actualité, il est cité par Antoine de Saint Afrique, l’actuel directeur général de Danone. Ce 25 octobre 1975, les patrons du CNPF furent tétanisés, sourds aux aspirations des salariés et aux enjeux sociétaux ! Pour conjurer leur conservatisme, et devant leur peu de foi, d’enthousiasme et d’engagement, il créa, en 1970, là aussi en visionnaire, avec son compère François Dalle, alors Pdg de L’Oréal, l’association Entreprise et Progrès toujours active. Je retiens, en particulier de son discours, cet appel à l’espérance : « N’oublions pas que si les ressources d’énergie de la terre ont des limites, celles de l’Homme sont infinies s’il se sent motivé ». 


[1] Pascal Demurger, dg de la Maif.

[2] AgroParisTech, Centrale Supélec, École polytechnique, HEC Paris, Essec.

[3] 14 octobre 2022.

Pour une plus grande sobriété dans les insights

Charlotte Taupin et Clémentine de Beaupuy viennent de lancer Sugi Research avec pour claim : « Augmenter la durée de vie de vos études » ; rencontre avec Charlotte Taupin.

MarketingIsDead : Tu préconises une consommation plus sobre des études marketing : le concept est tendance … mais, concrètement, ça veut dire quoi ?

Charlotte Taupin ! Aujourd’hui, dans tous les domaines, les entreprises cherchent à développer de nouveaux modèles de création de valeur, en tenant compte de l’environnement notamment, mais aussi de la durabilité, du partage et une meilleure utilisation des ressources. C’est l’idée d’un changement de pratique, de regard, d’usage qui est en jeu. Que tout le monde s’y mette ! Et c’est sûrement là la clef de la transformation. Dans le domaine des Etudes, nous sommes aussi concernés.

D’ailleurs, la récente loi PACTE du gouvernement, va dans ce sens : l’économie responsable désigne tous les acteurs économiques qui se sont emparés des moyens et des objectifs de l’économie sociale et solidaire pour donner un impact environnemental et social positif à leur activité.

Selon moi, adopter un comportement raisonné dans le domaine des études marketing et de la data, c’est créer une boucle de valeur favorisant un meilleur usage et une meilleure circulation de la donnée et des insights.

Concrètement cela signifie :

  • Mieux produire : acheter en exploitant au maximum la connaissance acquise au sein de l’organisation (toutes les sources de données) et en dehors (open source, publications, autres études, …). Cela ne veut pas dire faire moins d’études, mais simplement les envisager différemment. Toute question des départements marketing, communication et même du comex ne devrait pas déboucher forcément sur une nouvelle étude !
  • Mieux utiliser (et réutiliser) les données et insights. Accroître sa connaissance en faisant émerger des nouveaux insights analysés selon un angle différent. Une U&A peut délivrer des richesses d’insight, même très longtemps après sa 1ère exploitation. Une série de post-test analysés en corpus peut révéler des comportements médias insoupçonnés. Il existe de nombreux cas d’usages et la statistique est notre meilleure alliée pour cela.
  • Mieux communiquer. Enfin ce nouvel usage ne serait rien sans partage. Cette connaissance n’est pas produite pour rester dans les bureaux des équipes études, et encore moins dans leurs placards. Combien de fois ai-je entendu de la part des équipes insight « J’ai l’impression de répéter tout le temps la même chose ». Il y a donc un vrai sujet lié à l’appropriation de la connaissance aux confins de l’organisation. Elle doit mieux circuler, c’est-à-dire prendre une autre forme que le sacro-saint rapport d’études.

MarketingIsDead : Le problème, c’est que les études existantes ne sont pas toujours « compatibles » : compliqué de rapprocher, voire fusionner des données peu ou pas homogènes …

Charlotte Taupin ! Oui ! c’est pour cette raison qu’il est essentiel de mieux produire les études pour être capable le cas échéant de comparer, fusionner ou rapprocher des données entre elles.

Cela conduit à considérer les études dans leur ensemble, comme un tout alimentant la connaissance en permanence. Ce serait probablement intéressant de faire un audit de toutes les études d’une marque et de voir tous les ponts que l’on pourrait ériger entre elles. Un tel travail permettrait de réfléchir à une banque de questions par exemple ou une homogénéisation des cibles. Même au-delà des études ad hoc elles-mêmes !

Ensuite, il s’agit plus d’une mise en perspective des résultats. L’idée est de sortir de la méthodologie stricte (même s’il est impératif de la maîtriser) et de redonner un angle nouveau à une problématique en s’appuyant sur des sources multiples.

Même si celles-ci sont hétérogènes, elles racontent toutes des histoires ; et c’est ce croisement d’angles et d’approches qui fait la richesse d’une nouvelle analyse.

MarketingIsDead : Bien souvent, le marketing fonctionne dans l’urgence : n’est-ce pas utopiste de vouloir lui réapprendre à réfléchir dans le temps long ?

Justement ! C’est bien parce que le marketing fonctionne dans l’urgence qu’il est essentiel de savoir capitaliser sur les acquis

Charlotte Taupin ! Si le sujet est propre à la marque, et qu’une nouvelle étude est nécessaire, alors les équipes iront beaucoup plus vite si le savoir de l’entreprise est organisé, classé et réutilisable facilement. Et ce savoir ne concerne pas que les insights, mais aussi tous les éléments liés aux études : le questionnaire, la méthodo, les cibles…

Et je crois qu’il faut perdre le réflexe de n’être que dans la réaction. Peut-être d’ailleurs qu’il faut repenser l’organisation, avec 2 équipes : celle du temps court, en réponse à un besoin urgent, et celle du temps plus long qui alimente en permanence la 1ère et aussi le reste de l’organisation.

Cela valoriserait davantage la data, les insights et les équipes !