En amont de la matinée organisée par le Pôle prospective de @Adetem le Jeudi 13 février, quelques rapides questions aux intervenants pour vous mettre l’eau à la bouche.
Question :Il semblerait aujourd’hui qu’il soit de plus en plus compliqué de capter l’attention des consommateurs : votre expérience confirme cette analyse ?
François Lienart : Il est difficile d’affirmer qu’il est compliqué de capter l’attention car s’il existe quelques études relatives à la saturation des expositions publicitaires, elles sont souvent contradictoires. En revanche, peut être appréhendons nous moins bien les principes cognitifs/créatifs permettant de capter cette attention. Les travaux de neuroscience sur ce sujet restent très récents et peuvent surprendre quant à leurs résultats. Ainsi la perte d’attention résulte le plus souvent d’une mauvaise écriture séquencée des principes cognitifs basiques permettant d’attirer l’attention.
Question :Existe-t-il des solutions pour percer la barrière de l’indifférence ?
François Lienart : Oui, et on commence à les percer. Nos travaux menés permettent aujourd’hui le lier concrètement efficacité média et bénéfice branding. Reste à inclure dans l’équation de facteur créatif.
Question :Et plus particulièrement, vous pouvez nous dire deux mots de votre expérience avec Carrefour ?
François Lienart : Le challenge énoncé avec Carrefour consiste à compenser un levier marketing (Imprimé sans adresse/catalogue) remis en cause pour des principes RSE/écologique/Oui Pub, mais historiquement considéré comme particulièrement efficace. Comment comparer les leviers marketing/média délivrant des « occasions de contact » très différentes ? Comment surmonter le vide historique des approches médiaplanning cross média. L’attention est peut-être une partie du chainon manquant de cette équation.
En amont de la matinée organisée par le Pôle prospective l’Adetem le Jeudi 13 février, quelques rapides questions aux intervenants pour vous mettre l’eau à la bouche
Question : Aujourd’hui les consommateurs sont quotidiennement exposés à plus de 10 000, voire 15 000 stimuli commerciaux…
Franck Perrier : Aujourd’hui, les consommateurs filtrent, zappent, ignorent. Nous sommes dans une culture « popcorn », où l’attention saute d’un contenu à l’autre, stimulée par une quête incessante de dopamine.
La dopamine, c’est quoi ? C’est le neurotransmetteur du plaisir et de la récompense. Chaque notification, chaque scroll, chaque vidéo courte déclenche une mini-décharge, nous poussant à en vouloir toujours plus.
Question : Il semblerait aujourd’hui qu’il soit de plus en plus compliqué de capter l’attention des consommateurs : votre expérience confirme cette analyse ?
Franck Perrier : Oui, notre expérience le confirme : les consommateurs sont hyper-sollicités et privilégient des contenus ultra-courts. Un grand acteur de la finance français, par exemple, cherche à s’adapter à TikTok, la plateforme reine du snack content et de la surconsommation d’infos. Le « cerveau TikTok », c’est une attention fragmentée. Résultat ? Moins de patience pour les formats longs. Les marques doivent s’adapter ou disparaître.
Question : Existe-t-il des solutions pour percer la barrière de l’indifférence ?
Franck Perrier : Il existe des solutions et je me demande s’il faut de nouvelles recettes ou au contraire revenir aux fondamentaux de la publicité. Je pense à 3 leviers.
L’émotion : une marque qui fait vibrer, fait exister. Les histoires fortes captivent.
L’immersion : expériences interactives, réalité augmentée, personnalisation… L’utilisateur devient acteur en s’appuyant sur les nouvelles technologies.
L’authenticité : fini le marketing de façade, place aux valeurs sincères et aux contenus engageants.
Question : AI, influenceurs, communautés, contenus : quel est le bon choix ?
Franck Perrier : Et on pourrait ajouter : maîtrise technique des plateformes, création contrôlée de la controverse, gestion optimale des formats et d’autres encore. Il n’y a pas une réponse unique, mais une combinaison intelligente de plusieurs leviers, une orchestration. Encore faut-il savoir écrire la belle partition. On en parlera ensemble.
Christophe Rougon, Responsable du marketing Stratégique, Groupe La Macif, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !
En avant-première, il répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? En réorientant son savoir-faire, en s’ouvrant, en conciliant. En redéfinissant la place et le rôle du marketeur dans l’entreprise et le corps social. » : que vous inspire cette réflexion ? ».
Christophe Rougon : « La question est abyssale tant le marketing fait débat depuis ses origines. Dans la bouche d’une majorité de nos concitoyens, il apparaît comme péjoratif. Il est davantage vu comme le bras armé d’un fonctionnement débridé du marché où la notion de besoin est largement dévoyée pour laisser la place à une consommation effrénée.
« Comme nous le rapporte l’étude Kantar – AFM de mai 2022 (1), le marketing serait le symbole des dérives du capitalisme. Pire encore… manipulation, mensonges et arnaques sont les mots auxquels il est associé …
« Qu’il semble long le chemin pour repositionner le marketeur dans les réponses aux défis du monde d’aujourd’hui. Associé à des impacts négatifs sur l’environnement et la vie privée, le fossé se creuse …
« Comme souvent les cordonniers apparaissent les plus mal chaussés … Les marketeurs n’ont pas su se vendre, et en premiers lieu au sein de leurs propres entreprises… Non que nos actions soient toutes vertueuses, mais pour la majorité, nous avons le consommateur et la marque chevillés au corps, avec cette volonté de bien faire notre métier en les respectant …
« Davantage que la recherche des causes, la question qui se pose à nous invite surtout à changer de prisme, à enrichir et renouveler nos pratiques au risque de devenir des boucs émissaires bien utiles…
« Une chose est claire, se poser cette question, c’est aussi reconnaitre que le marketing est vivant et que l’on espère encore de lui !
« Pour cela, peut-être faut-il revenir à une définition plus moderne du marketing comme par exemple celle proposée par l’AFM en 2016 : « Le marketing est une conception des échanges et un ensemble de pratiques qui vise à créer de la valeur durable pour l’ensemble des parties prenantes (individus, entreprises ou organisations) ».
« Il n’y est plus question de réponses ou de créations de besoins, mais « d’échanges » ; non plus de générations de profits, mais de « création de valeur durable ». Il serait un peut hâtif d’objecter que tout cela ne constitue qu’une évolution sémantique, laquelle cacherait alors les mêmes maux…
« Pour devenir responsable, le marketing doit revenir à l’essence de ses origines : inviter à une relation, initier de la confiance pour orienter le choix des consommateurs… mais en dépassant une logique purement transactionnelle. Ce n’est pas parce que les parties visibles de cette relation sont avant tout marchandes et financières que seules ces dimensions importent. Nous le savons mieux que quiconque, si c’était le cas, une bonne offre se réduirait aux diktats du contrôle de gestion.
« Face aux défis d’un monde en polycrises, les clients/citoyens attendent des entreprises et des marques qu’elles prennent leur part dans les solutions(2). Elles ne peuvent plus faire comme si elles ne savent pas, comme si elles ne peuvent pas.
« En réinvestissant son rôle d’interface entre l’entreprise et ses marchés, le marketing est à la meilleure place pour la positionner au sein de son environnement. A lui de prendre l’initiative et devenir l’animateur qui interroge la marque sur ses valeurs et sa place dans la société. En initiant et portant cette interrogation au sein de l’entreprise, en la faisant centrale par l’association de tous les acteurs de son écosystème, il devient l’artisan de la réponse qu’attendent les clients/citoyens d’une marque responsable.
« Cette quête de sens et d’alignement à laquelle nous aspirons individuellement, se traduit par des convictions fortes dans l’élaboration des actions. Le résultat ne saurait alors se limiter à une simple adaptation des messages de communication comme c’est encore trop souvent le cas. Dans ce village mondial connecté, ce serait l’assurance de risques à court terme… une évidence trop souvent oubliée…
« Comme toutes convictions, elles ne s’envisagent qu’au prix de renoncements. De la même façon que les clients choisissent une marque, nous, marketeurs, avons quelques difficultés à accepter une vision limitée de notre marché. Avec la croissance pour maître mot, ce serait faillir … nous avons été formés pour cela ! Pourtant, comme la possible finitude de ce monde, nous oublions trop souvent la dimension temporelle de la relation d’un client avec sa marque. Choisir ses clients pour investir avec eux sur un temps long est une voie royale vers la rentabilité, nous le savons pourtant. Mais au quotidien nous œuvrons souvent à son contraire à coup d’expédients promotionnels ou d’artifices pseudo-innovants…
« Se réinventer pour retrouver des marges de libertés, c’est aussi s’éloigner d’une certaine facilité, d’une approche mécaniste largement outillée par des outils digitaux. De s’abstraire du mythe confortable selon lequel les algorithmes auront la bonne réponse, que mieux qu’un humain, ils désignent ce qui est bon pour la diffusion de nos offres. Au-delà des modèles engouffrant toujours plus de datas pour nourrir des recommandations et des A/B test, il faut réinvestir la réflexion amont sur les réelles plus-values apportées par notre offre et les bénéfices qu’elle apporte à son utilisateur. Là encore revenons aux fondamentaux de notre matière qui plus qu’une science recèle encore fort heureusement une forme d’artisanat : réfléchir aux fonctions de son œuvre, adapter ses techniques à la situation et ne pas craindre de reprendre l’ouvrage…
« Il ne s‘agit pas de pêcher par naïveté, les contraintes financières de l’entreprise et celles du marché sont autant d’aiguillons du temps court qui rythment notre métier. Mais peut être aussi, nous sommes nous perdus dans une certaine forme de schizophrénie en déclamant des valeurs que nos pratiques n’incarnent pas. Dans ce réseau mondial ouvert, exigeant, l’alignement est un facteur puissant de confiance. La plupart des postures sont acceptables à condition qu’elles soient clairement présentées et pleinement assumées sans écarts avec la réalité. En cela nous avons aussi pour missions d’éclairer nos dirigeants afin qu’ils envisagent d’autres voies que celles qui semblent toutes tracées par des décennies de pratiques. Le monde change et nous pouvons modestement mais utilement être des éclaireurs pour réconcilier entreprise, marché et société.
« Faire du marketing n’est pas travestir, mais défricher et investir dans la juste perception de nos offres par d’autres humains. Nous avons ce talent et cette pédagogie, nous pouvons efficacement les mettre au service de nos marques et du rôle qu’elles désirent jouer. Le chemin est long et tumultueux, mais pas impossible. Certains s’y essayent…
« Oui, s’il veut retrouver sa liberté d’action, le marketing doit devenir plus responsable. Une grande liberté implique de grandes responsabilités…
(1) Etude Kantar / AFM – Quelle est l’image du marketing auprès des français – Mai 2022
(2) Etude Opinionway / CCI France – les français et les entreprises quelles attentes pour 2024 – janvier 2024
Kamel Ouadi, CMO de Devialet, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !
En avant-première, il répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Seul le marketing peut générer du désir autour des 3Ps (Planet, People, Profit), et permettre l’éclosion harmonieuse de l’écologie nécessaire à la prospérité de l’entreprise et au-delà de notre société. Le marketing doit humaniser et simplifier un monde devenu trop complexe pour être hospitalier. Et redonner à notre société l’envie de faire affaire avec ce monde tel qu’il est« : que vous inspire cette réflexion ? ».
Kamel Ouadi: « Le marketing a effectivement un rôle crucial dans la manière dont il peut humaniser et simplifier un monde devenu de plus en plus complexe. Dans un contexte où les consommateurs sont confrontés à une surcharge d’informations et de choix, le marketing doit se transformer pour répondre à ces défis.
D’abord, l’humanisation dans le marketing signifie créer des connexions authentiques avec les consommateurs. Cela implique de comprendre et de répondre à leurs besoins, émotions et valeurs. Un marketing efficace ne se contente pas de vendre un produit ou un service, il raconte une histoire qui résonne avec les expériences et aspirations des individus. En mettant en avant des témoignages réels, des histoires inspirantes et des valeurs partagées, le marketing peut rendre les marques plus accessibles et empathiques, générant un lien de confiance entre les consommateurs et les marques.
Simplifier le monde complexe signifie clarifier les messages et rendre les messages et les offres plus compréhensibles. Face à une avalanche de choix et de données, les consommateurs recherchent des informations claires et directes. Le marketing doit s’efforcer de distiller des messages complexes en propositions simples et percutantes, facilitant ainsi la prise de décision. En construisant des plateformes de marques puissante et en simplifiant le langage, les visuels et les processus d’achat, le marketing aide les consommateurs à naviguer sans aucun doute dans un environnement complexe. »
@Leonore Dobbelaere, Directrice des marchés clientèle des particuliers de La Banque Postale, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !
En avant-première, elle répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? » : que vous inspire cette réflexion ?
Leonore Dobbelaere : « La conjugaison entre libertés individuelles et protection du bien collectif est une question qui devient essentielle dans nos sociétés aujourd’hui hyperconnectés.
« Elle se traduit pour le marketing à trouver un équilibre entre une segmentation poussée à l’extrême pour répondre au plus près au besoin du consommateur ou du client (dans une relation quasi One to One) et la nécessité de maintenir des économies d’échelle qui permettent à la fois de communiquer dans un mode One to Many, et de conserver des prix accessibles de manière à pouvoir servir le plus grand nombre, tout en intégrant les contraintes sociétales et environnementales qui s’imposent à nous pour protéger le bien commun.
« Le marketing a donc plus que jamais un rôle à jouer dans la recherche de cet équilibre instable en se confrontant à des tendances qui émergent comme par exemple la déconsommation, ou l’hyperpersonnalisation et le retour à l’artisanat »
Valérie Brisac, Directrice générale de la Communauté des Entreprises à Mission, interviendra le 17 Octobre 2024 lors de la matinée du Comité Scientifique de l’Adetem : Le dernier défi du marketing : réformer l’entreprise !
En avant-première, elle répond à la question : « Dans son dernier manifeste, à paraître à l’occasion des 70 ans de l’Adetem, son Conseil Scientifique écrit : « Et si le marketing se réinventait pour contribuer à la recherche d’un équilibre entre libertés individuelles et responsabilité collective, au profit de tous et de notre planète ? En réorientant son savoir-faire, en s’ouvrant, en conciliant. En redéfinissant la place et le rôle du marketeur dans l’entreprise et le corps social. » : que vous inspire cette réflexion ? »
Valérie Brisac : « Se poser cette question, c’est reconnaître que la responsabilité collective a été trop longtemps ignorée. Il est temps en effet de rééquilibrer liberté et responsabilité, car il n’y a pas de liberté sans responsabilité, que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau des individus. Nous sortons tout juste d’une sorte de cécité collective, où le « toujours plus », la création de nouveaux besoins sans limites n’était pas questionnée, du moment que cela servait les intérêts de l’entreprise et que le marché répondait. Des générations de consommateurs ont grandi dans un système où le marketing a glorifié la consommation, en a fait un marqueur social, de différenciation, voire de source unique du bonheur, sans se préoccuper des impacts de ce modèle. Aujourd’hui, on voit bien que cela ne tient plus, tant les signaux, les études, les alertes fusent de partout, et que la société est en attente d’un autre discours.
« Se réinventer : c’est vraiment le mot, tant le changement nécessite un rétropédalage complet, et ce à plusieurs niveaux. Il faut commencer par prendre conscience du fait que l’entreprise a un pouvoir très important, à la fois dans sa proposition de service mais également sur la culture, les messages qu’elle transmet, et les moyens dont elle dispose. Ce pouvoir oblige, et les marketeurs doivent reprendre les sujets à la base : au niveau des produits et services (en quoi ce que l’entreprise propose est utile ? de qualité ? apporte des bienfaits ? en quoi le modèle de production est-il responsable ?) ; des messages (quels comportements l’entreprise essaie-t-elle d’induire ? favorisent-ils le collectif ?) ; des canaux (comment est-ce que je m’adresse à mon marché ? est-ce responsable ?), etc. C’est tout le système de pensée qu’il faut remettre à plat.
« Le marketing ne peut se réinventer seul, il lui faut un mandat clair de la part de la gouvernance. Sans changement de logiciel, les marketeurs ne pourront pas changer structurellement les choses, si le seul indicateur reste celui du résultat à court terme. Les équipes marketing pourront proposer, tester de nouvelles approches, mais ne pourront pas aller plus loin sans changement de stratégie et d’indicateurs de performance. C’est le propre des entreprises à mission que de donner la possibilité à la gouvernance d’adopter une nouvelle boussole, qui rééquilibre justement liberté et responsabilité. Ce cadre laisse toute sa place à l’innovation, à la créativité des équipes R&D, marketing, au service d’objectifs conjuguant intérêt économique et impacts positifs pour l’environnement et la société.
« La bonne nouvelle, c’est que dans ce nouveau cadre de liberté d’action, le marketing peut faire des merveilles au service d’un nouveau récit, tant son pouvoir est grand. Imaginons tous les savoir-faire des marketeurs dédiés à la redéfinition de la proposition de valeur : nouvelle raison d’être de l’entreprise, capacité d’innovation, veille sur les attentes profondes de la société, choix d’influenceurs, de canaux de communication, de nouveaux éléments de langage … Tous ces talents, ces outils, cette expérience accumulée, mis au service d’un nouveau projet permettant d’articuler liberté et responsabilité, peuvent très concrètement changer les choses, ringardiser certains modes de consommation et en valoriser d’autres. Et ce faisant, remobiliser les équipes autour d’un projet servant non seulement l’entreprise, mais aussi la société dans son ensemble ».
MarketingIsDead : Avec ton complice Hubert Kratiroff, tu viens de publier la nouvelle Bible du marketing digital, mais n’est-ce pas aujourd’hui un truisme ? Peut-on faire du marketing non digital ?
Yann Gourvennec : Commençons par préciser que ce terme de « nouvelle Bible du marketing digital » n’est pas de notre fait. C’est la phrase qui a été choisie par Jean-Philippe Timsit pour qualifier notre livre. La modestie nous impose cette précision.
Effectivement, ta question est tout à fait pertinente et c’est la première que nous nous sommes posée à nous-mêmes. Pourquoi écrire un livre sur le marketing digital en 2024 alors que cela devrait être une évidence ? Nous sommes tous utilisateurs d’outils digitaux, tous les marketeurs utilisent le digital, le digital est dans tout et tout se fait avec au moins une dose de numérique. Même le marketing traditionnel s’appuie sur des technologies digitales, on n’y échappe pas, elles sont omniprésentes. De là à ce que tous les marketeurs soient au fait des subtilités de cette discipline, par ailleurs fort large et hyper segmentée…
Tel est notre constat de praticiens sur le terrain, mais aussi d’enseignants dans les écoles, aussi bien auprès des formations initiales que continues, nous amène à penser qu’une grande marge de progression est encore possible dans ce domaine.
Certes, le Web s’est imposé à tous depuis 30 ans, et il devrait être une seconde nature, mais force est de constater que la pratique n’est pas toujours à la hauteur de ce qui est attendu. D’une certaine manière c’est un peu normal, le marketing digital est une matière à la fois technique et marketing, une sorte d’alliance entre ces deux domaines, d’où notre prédilection pour ces nouveaux profils que nous nommons « full-stack marketers » en forme de clin d’œil.
Or, les « full-stack marketers » ne sont pas si nombreux que cela. Même dans les écoles et avec les générations prétendument digital natives, beaucoup d’acculturation est nécessaire. Dans un sens c’est une bonne chose, cela veut dire que nous avons encore du travail pour quelques années.
Tel était le but de ce livre, se présenter comme un nécessaire rappel aux fondamentaux, mais ce n’est pas tout.
Le Web et le monde de l’Internet traversent une période fort complexe, qui n’est pas décorrélée de la complexification croissante du monde qui nous entoure. Ceci nous oblige à rebattre les cartes en permanence. Ce n’est pas spécialement nouveau, mais l’accélération de ces dernières années est patente.
Et pas seulement à cause du Covid ni de l’intelligence artificielle. Mais aussi de la généralisation du mobile, de la complexification du SEO, du SEA, du content marketing, bref du bouleversement de ces fondamentaux qui n’étaient déjà pas encore digérés par le monde de l’entreprise.
En résumé, il n’est pas illogique de faire un livre sur le marketing digital aujourd’hui, c’est même une véritable nécessité, peut-être même que l’urgence n’en a jamais été autant ressentie que dans ces dernières années.
MarketingIsDead : Votre livre regorge des infos les plus actuelles, mais avec le développement des IA dans combien de temps sera-t-il obsolète ?
Yann Gourvennec : Nous sommes bien conscients de la durée de péremption des technologies.
Et c’est pour cela que nous inscrivons toujours nos livres dans le temps long. Il faut donner, c’est ce qui manque beaucoup aux professionnels, une vision et des outils pour pouvoir décrypter les technologies dans la durée et non dans l’instant. Or, c’est une constante de cette période d’essayer d’écrire l’histoire des technologies en temps réel, ce qui n’est pas possible. Car les innovations prennent souvent beaucoup de temps pour s’instaurer dans les usages et dans nos sociétés. C’est contre-intuitif, à l’heure où on parle, souvent à tort et à travers, d’accélération numérique.
Il est une sorte de miroir aux alouettes notamment dans cette période qui est marquée par les IA génératives. Et on y retrouve d’ailleurs systématiquement notre schéma de digestion des technologies, comme pour les innovations du passé. Sans oublier d’ailleurs que l’intelligence artificielle elle-même est un vieux champ d’application, puisque j’ai moi-même démarré ma carrière informatique dans ce domaine.
D’une part, il est une tendance à exagérer les promesses de la technologie avant même d’en avoir réellement évalué la portée (ce qui prend souvent quelques années). Et d’autre part, on trouve les hypothèses négativistes qui tendent à minimiser l’importance de la technologie ou à en souligner uniquement les côtés néfastes.
Bernard Stiegler, le philosophe qui nous a quittés malheureusement il y a quelques années, décrivait ces technologies comme des « Pharmakon ». Par là il voulait dire qu’elles étaient à la fois le mal et le remède. C’était très bien vu il faut être capable d’embrasser cette ambivalence et de la comprendre pour pouvoir véritablement voir où va cette technologie. Et ne pas croire que les miracles ni les catastrophes arrivent instantanément.
C’est pour cela qu’au travers du livre, nous fournissons des outils comme notre matrice de la digestion des technologies.
MarketingIsDead : Au millénaire dernier Christopher Locke et ses copains du Cluetrain manifesto lançaient un lapidaire “Markets are conversions”. Finalement n’est-ce pas toujours ça la base du marketing digital ? Le reste n’est-il pas que des outils qui vieilliront plus ou moins vite et plus ou moins bien ?
Yann Gourvennec : Nous sommes bien entendu comme toi des disciples de Doc Searls[1] et ses compagnons. Ce mantra, qui avance que les marchés sont la résultante de conversations entre clients, est effectivement le fondement du marketing. Et d’ailleurs c’est pour cela que la dernière partie du livre, la septième, est entièrement dédiée au marketing du bouche-à-oreille, une discipline injustement méconnue en France et peu enseignée, que je contribue moi-même à professer depuis maintenant plus de 17 ans.
C’est un sujet fondamental qui va bien au-delà des outils. D’ailleurs mon cours inclut les médias sociaux, mais les place en dernier, car ils ne sont que la partie visible du bouche-à-oreille, non sa partie majoritaire.
Il faut donc effectivement revenir aux fondamentaux et c’est pour cela que nous fournissons ces outils méthodologie qui sont plus de l’ordre de l’approche stratégique et qui seront toujours valables. Dans 100 ans, on pourra encore relire cette partie sur le marketing du bouche-à-oreille, sans doute que l’on devra l’adapter à la marge, mais ses fondamentaux seront toujours vrais.
Est-ce qu’il y aura encore à cette époque-là des médias sociaux dans la forme où on les connaît aujourd’hui, j’en doute grandement? D’ici là, d’autres formes de technologies d’échange et de communication auront émergé et c’est tant mieux. Car depuis le temps que nous travaillons sur les médias sociaux professionnels (LinkedIn a fêté ses 20 ans l’an dernier), le monde a beaucoup changé, un besoin de nouveauté se fait sentir grandement qui n’est pas encore satisfait par les nouvelles plates-formes sociales (Bluesky, Threads…), qui arrivent sur le marché et qui ne réussisent d’ailleurs pas à détrôner X.com.
En conclusion, tu as parfaitement raison, il faut être capable de dépasser les outils, mais force est de constater que les utilisateurs sont attirés par eux. Ils sont à la fois fascinés et effrayés par les technologies. C’est pour cela que nous leur conseillons nos logiciels et services en ligne favoris, à la fin de chaque chapitre et tout au long du livre.
Nous sommes donc face à un paradoxe intéressant.
Les technologues chevronnés savent utiliser ces outils et les regarder avec du recul, de manière rationnelle, sans fantasmer, ni paniquer. A nous d’apprendre aux professionnels et futurs professionnels de garder la tête froide, même en ce moment où le monde entier perd la raison à vouloir la sous-traiter à des machines.
Ils savent qu’il faut du temps pour qu’une technologie trouve sa place dans les usages et qu’on puisse dire en fin de compte : « est-ce que cela m’a fait gagner du temps et est-ce que je suis plus efficace avec cet outil ».
C’est seulement avec ce temps et ce recul que l’on peut véritablement évaluer l’efficacité du numérique et du marketing digital en particulier.
Consommer moins pour consommer mieux : par conviction ou par obligation, la sobriété s’impose aux consommateurs ! Mais comment le marketing saura-t-il répondre à ces nouvelles exigences sociétales ?
Ce sera le thème de matinée organisée le Pole Prospective de l’Adetem le 3 Octobre prochain (inscriptions ici) ; en avant-première, un des intervenants, Gaël Queinnec, Directeur de la Prospective de Michelin, répond à nos questions.
Question :Volontaire ou subie, la sobriété s’impose dans la consommation des Français : comment percevez-vous cette nouvelle tendance ?
Gaël Queinnec : Le marché du pneu, qui n’est pas franchement un achat glamour, est plutôt celui du juste nécessaire. Voire même en deçà du nécessaire, les pneus lisses restant une cause majeure d’accidents en France. Donc nous nous sentons à l’abri de la surconsommation compulsive. Mais la tendance nous semble à la fois forte et générale, et dans les biens utilitaires comme le nôtre, elles se traduit par une attente sociétale (prochainement une obligation légale ?), d’accompagnement des cibles vers la consommation raisonnée. Aujourd’hui un produit est accompagné d’une notice sécuritaire, demain cette notice sera aussi planétaire : comment prolonger la durée de vie, maîtriser son usage, etc.
Question :Et comment vous adaptez-vous, voire la mettez-vous en œuvre dans votre entreprise ?
Gaël Queinnec : Pour ce qui concerne strictement notre produit phare, le pneu, nous sommes historiquement positionnés sur la durée de vie. Il nous suffira donc d’en parler plus fort. Mais nous sommes aussi l’accessoire d’un produit, la voiture, qui ne s’inscrit que très marginalement dans une logique de sobriété et consomme de plus en plus de planète pour un même service, même si sa consommation d’énergie à iso-masse diminue, entre autres grâce à des pneus de haute technologie.
Ce paradoxe anime beaucoup de débats internes, qui sont loin d’être tranchés. Quand quelqu’un utilise un SUV de 2 tonnes pour faire un trajet solitaire en ville que d’autres font avec une citadine d’une tonne, notre responsabilité peut-elle s’arrêter à contribuer à réduire la consommation du SUV ? Ou devrait-on œuvrer pour diminuer ces cas d’usages questionnables ? Si oui, comment et de quel droit ? Et si pour d’autres usages le SUV est justifié, faut-il alors inciter à utiliser 2 véhicules différents, ce qui serait environnementalement bien pire ? Je viens aussi à cette table ronde pour chercher des éléments de réponse !
Directeur de l’innovation et de la transformation digitale dans le secteur de la banque et de l’assurance, et déjà auteur d’Innover ou disparaître, Olivier Laborde vient de publier avec Eloïse Bussy, Social Commerce. Réseaux sociaux, gaming, métavers : à vos marques, foncez !
Rencontre avec l’auteur, qui sera aussi un des invités du Pole Prospective de l’Adetem le 18 avril à 9 heures – inscription bientôt en ligne ici – où il nous parlera des startups rencontrées au CES de Las Vegas.
MarketingIsDead :Tu publies un livre sur le social commerce … mais le social commerce, ça ne marche pas vraiment, et Meta rétropédale …
Olivier Laborde : En effet, mon dernier livre traite du social commerce et de l’opportunité pour les marques de faire du business sur les plateformes sociales.
Pour mieux cerner l’éventuel écart de perception, commençons par dire que le social commerce est le fait d’utiliser des médias sociaux pour vendre des produits et services, en utilisant les boutiques de ces réseaux et autres solutions d’achat natives. Jusque-là cantonné aux réseaux sociaux, nous élargissons son périmètre à l’ensemble des plateformes sociales, c’est à dire au gaming et aux métavers.
Au contraire de ton affirmation, cela marche plutôt bien sur le volet du commerce sur les réseaux sociaux si l’on en croit les chiffres ! Les ventes de commerce social auraient atteint 492 milliards de dollars dans le monde en 2021 selon Accenture, et 727,6 milliards en 2022 selon Statista.
Le social commerce sur le gaming est encore jeune, celui sur les métavers se développera lorsque ces plateformes deviendront matures.
MarketingIsDead : Tu pointes le Métavers comme nouvel horizon pour le social commerce : mais le Métavers, ce n’est pas juste un toilettage de Second Life, une fuite en avant, sans réel avenir ?
Olivier Laborde : Comme je l’ai indiqué, les métavers sont des plateformes sociales émergentes, elles font le buzz mais il faudra plusieurs années avant que l’usage devienne mainstream. Le métavers est un jeu à long terme.
Second Life était peut-être un métavers 1.0. La différence est qu’aujourd’hui les technologies sous-jacentes au métavers arrivent à maturité. La technologie graphique et la connectivité internet ont considérablement progressé depuis. L’illusion d’un monde vivant et immersif est plus convaincante et les activités proposées se rapprochent de l’expérience dans le monde réel. Par ailleurs, la réalité virtuelle et la réalité augmentée ont gagné en maturité et deviennent « mainstream » en possibilité d’usage avec de nombreuses applications pour le grand public.
Nous passons en moyenne 2h30 par jour sur les réseaux sociaux, nul doute que nous passerons du temps dans les métavers qui sont un internet immersif et en 3D. Selon Gartner, d’ici 2026, 25% de la population passera au moins une heure par jour dans le métavers pour le travail, le shopping, l’éducation, les activités sociales et/ou les divertissements.
MarketingIsDead : Alors, finalement, quel pourrait être la voie ultime pour faire du business sur le Web ? A quoi ressemblera l’Amazon de demain ?
Olivier Laborde : Les marques doivent viser à offrir une expérience sociale unique et agréable qui suscite des émotions. Les innovations telles que la personnalisation, les interfaces conversationnelles, la vidéo, la gamification et les nouveaux territoires d’expression comme les jeux et les métavers sont essentielles pour créer des expériences engageantes qui transforment les clients en consommateurs fidèles et en défenseurs de la marque.
Les marques qui souhaitent toucher un nouveau public de manière efficace disposent de nouveaux espaces d’expression et de séduction. Jeux vidéo et métavers pourraient être les nouveaux Eldorados des marques.
Pour réussir dans ces nouveaux espaces, les marques devront être authentiques et créatives, car les utilisateurs interpelleront les marques qui se trompent. Elles ne pourront pas faire de la publicité dans une communauté comme Fortnite sans autorité, surtout si la marque n’est pas endémique.
Au final, les marques devront proposer du « shoppertainment » un concept innovant qui combine deux activités en une seule : faire ses courses (shop) et se divertir (entertainment).
A l’heure de ChatGPT, peut-on encore envisager la création de marque comme … l’an passé, quand l’AI ne se positionnait pas encore en challengeur des créatifs : j’ai posé la question à Marcel Botton, le fondateur de Nomen.
MarketingIsDead :Marcel Botton, tu as fondé Nomen, agence de création de marque, en 1981 : depuis, la profession a beaucoup évolué ?
Marcel Botton : La profession de « Nominateur » a bien évolué au cours de ces dernières années. Il convient aujourd’hui de prendre en compte les noms existants de domaine, bien sûr, mais aussi les noms d’applis, de blogueurs, d’avatars, etc. La dématérialisation a accru l’extension géographique des noms et marques, d’où la nécessité de maîtriser encore mieux les évocations dans les différentes langues, ce qui nous a amené à renforcer encore l’importance de notre réseau de validation culturelle : plus de 100 pays aujourd’hui !
Un corollaire de ce qui précède est que se développent de plus en plus aujourd’hui des marques sans signification précise, mais constituées de mots courts, souvent 4 lettres, pouvant s’écrire directement dans le logo de l’appli, et faciles à prononcer dans les principales langues. Avec souvent des lettres un peu rares, X, W, Z, Y, K, compte tenu du relatif encombrement !
MarketingIsDead :Aujourd’hui, de nouveaux challenges pointent le nez, avec notamment l’arrivée de l’AI et des systèmes comme ChatGPT …
Marcel Botton : L’arrivée de l’intelligence artificielle, que nous utilisons déjà, va libérer du temps de nos équipes, pour leur permettre de se consacrer à ce que les AI ne savent pas faire aujourd’hui : imaginer des territoires de marques innovants, explorer des champs de création vierges. Il en va de la création verbale comme de la création visuelle, la formidable puissance des AI leur permet de faire du « à la manière de … ». Mais elles ne savent pas créer une nouvelle disruption, ce qui reste aujourd’hui le territoire des créateurs. »
MarketingIsDead :Ces systèmes fascinent certains, effraient d’autres : en dépassant le seul cadre du marketing, ils posent de multiples problèmes éthiques …
Marcel Botton : Quant à l’éthique des IA, il est clair que ce sujet est central aujourd’hui. Chez Open AI, l’éthique est l’objet d’une super vigilance, au point qu’il est impossible d’obtenir par exemple de DALL-e, leur créateur AI d’images, une simple caricature de Macron, alors qu’on peut obtenir celle d’Abraham Lincoln. Chez Alphabet-Google, il se dit que c’est par crainte de problèmes éthiques que leur AI n’est pas encore en ligne. Par crainte d’immoralité, on risque de censurer l’impertinence. Peut-être que le fameux test de Turing, permettant de distinguer un logiciel d’un humain, pourra être validé par des questions immorales ? Les mois à venir s’annoncent passionnants.