14 juin 2017
Quand on évoque le phénomène du trolling des marques par les socionautes, la plupart des marketers demeurent incrédules : déjà, la plupart ne connaissent même pas un terme pourtant promis à un bel avenir !
En deux mots, que doit-on entendre par là ? Que les consommateurs jouent aux méchants petits lutins de la mythologie scandinave aux dépens des marques, un peu ces derniers savaient se montrer espiègles à l’égard des humains qu’ils piégeaient. Enfin pas toujours espiègles, parce que parfois ils s’amusaient à dévorer quelque marmot : pas très sympa.
On distingue généralement deux formes de trolling : le trolling vengeur – où un client châtie la marque qui lui rend de mauvais services, par exemple un fournisseur d’accès qui coupe de manière impromptue sa ligne, ou un site de vente en ligne qui plante lamentablement à l’heure de la transaction ; et le trolling bête – où l’internaute cherche juste à nuire aux annonceurs, sans raison évidente ou du moins apparente.
Ce genre de comportements – qui va bien au-delà du « bad buzz », échappe totalement aux directeurs marketing parce que hors de leurs références culturels : eux-mêmes se montrent plutôt respectueux à l’égard des marques que gèrent leurs confrères, et que des gens censés puissent ainsi se divertir en sapant leur travail leur est totalement inconcevable.
Le problème, c’est qu’au fil des ans, la fracture se creuse entre ces deux univers culturels : celui des CMO et celui des internautes des générations Y et maintenant Z ; entre ceux qui gèrent les marques et ceux qui animent le Web social. Et ces deux univers ne sont pas prêts de se rejoindre …
D’un côté, des managers qui n’ont certainement pas croisé de – vrais – consommateurs depuis bien longtemps : ils en connaissent l’âge, le sexe, l’habitat, les motivations et comportements d’achat, les fréquentations médias, etc. Tout ce que les études leur fournissent : mais chiffres et rapports ne suffisent pas toujours à comprendre les gens, il faut parfois rajouter de la chaire sur les os.
De l’autre côté, des jeunes pour qui la pratique des médias sociaux ne constitue pas un dérivatif, un complément à une vie trépidante de bureau – ou pire, un outil de travail pour les adeptes du social selling en B2B – mais la « vraie vie », car c’est là que tout se passe pour eux, et c’est là qu’ils puisent leurs références culturelles.
Dans le Matin des magiciens, Pauwels et Bergier évoque comment certains physiciens allemands, complètement coupés du reste du monde durant la seconde Guerre Mondiale, s’était créés en quelques années de nouvelles références culturelles en totale rupture avec celle des autres pays occidentaux, croyant notamment en la théorie d’une terre certes ronde mais … creuse, avec les étoiles en son centre, d’où les erreurs balistiques des V2.
On pourrait citer également l’incrédulité des Persans de Montesquieu découvrant le royaume de France : quand deux mondes ne communiquent pas, ou très peu, ils développent des systèmes référentiels extrêmement divergents ; quand les membres de l’un de ces monde se penche sur l’autre, ils lui appliquent des grilles de lectures incompatibles – d’où une totale incompréhension.
Le trolling ne constitue qu’un comportement parmi d’autres – et bien d’autres encore à venir – qui souligne la barrière culturelle entre le monde des CMO – de brillants managers, quadras et quinquas – et de jeunes consommateurs en pleine construction d’une société fondée sur des valeurs quasiment inexistantes au début de ce siècle ; non pas une barrière générationnelle – qui a toujours existé, évoluant au fil des ans – mais culturelle, les références des uns échappant totalement aux autres.
Et comment après l’éclatement de Pangée, ces continents culturels dérivent de plus en plus loin les uns des autres, sans espoir prochain de réunion.