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À l’ouest, et partout ailleurs, toujours rien de nouveau #5


Fausse alerte

Il était resté 3 semaines dans son petit appartement près de la Butte aux Cailles. Heureusement il pouvait lézarder sur son balcon qui donnait sur un petit square, puisque comme les précédentes la nouvelle pandémie avait frappé au printemps, du moins en Europe.

Enfin « avait frappé », pas vraiment : le virus n’avait pas daigné voyager jusqu’à l’Atlantique, il était resté en Chine ! Mais dès l’apparition des premiers cas dans l’Empire du Milieu, les gouvernements européens avaient immédiatement verrouillé leurs frontières et décrété le confinement général de leurs populations … pour rien !

Mais on est jamais trop prudent …

Le confinement général … enfin, pas vraiment : car depuis la précédente pandémie, de nombreuses tribus s’étaient mises à enfreindre si ouvertement la loi que les ministères concernés avaient hésité, puis renoncé, à l’appliquer : impossible de lutter à la fois contre la maladie et des émeutes à répétition.

Une part importante de la société s’était marginalisée – ou plutôt, une multitude de groupuscules avaient émergé, vivant en quasi autonomie par rapport au pouvoir central complètement dépassé, acculé à accepter l’inacceptable … du moins d’un point de vue strictement sanitaire.

Lors de la 3ème pandémie, ces rebelles restaient aisément identifiables et localisables : jeunes dealers des banlieues qui ne voyaient pas pourquoi renoncer à leurs commerce pour une société à qui ils ne devaient rien ; struggle for life des adeptes des petits boulots, souvent dans les mêmes zones ; envie soudaine de décompresser de bobos parisiens, une bouteille de bière à la main le long du canal Saint Martin.

La police intervenait rapidement, et malgré quelques rares échauffourées, tout rentrait rapidement dans l’ordre.

On n’en était plus là : des tribus rebelles émergeaient çà et là – génération spontanée – pour disparaître tout aussi naturellement et mystérieusement, aussi bien dans le « Neuf Trois » que dans le XVIème, tant dans les quartiers nord de Marseille que sur la Croisette.

Pire, les mêmes individus qui le matin narguaient l’autorité en se promenant bras dessus, bras dessous, une canette de bière à la main dans les jardins publics, les mêmes individus dénonçaient le soir même ces salopiots qui le matin narguaient l’autorité … Le tout et son contraire, et le chat de Schrödinger qui trottinait gentiment dans les rues !

Les personnes âgées et/ou à risque, quant à elles, avaient anticipé le mouvement : certaines ne mettaient quasiment plus le nez dehors depuis longtemps, elles ne sortaient plus que la peur au ventre, même pendant ces périodes de répit où plus aucun virus ne circulait – mais comment en être sur ?

Bref, de ce côté, tout paraissait plus simple … si ce n’est que de temps en temps, un de ces ultra-confinés pétait les plombs et sortait un vieux fusil pour tirer sur les rebelles qui passaient sous ses fenêtres : des fois que le virus grimperait quelques étages pour s’inviter chez lui !

3 semaines plus tard

Trois semaines plus tard, les gouvernements se congratulaient d’avoir évité une nouvelle catastrophe sanitaire sans trop creuser la dette publique, et levaient les confinements.

Trois semaines plus tard, Niels quittait Paris pour Montcuq – un peu plus de 600 kilomètres et une dizaine d’heures par les départementales à en croire son GPS : depuis longtemps, il évitait les autoroutes et leurs policiers tatillons, sans oublier les petits malfrats qui pullulaient sur les aires de repos.

Enfin, c’est ce qui se disait sur les médias sociaux ; le Ministère de l’Intérieur, lui, démentait régulièrement, mais les mêmes vidéos, virales, tournaient sur les réseaux : compliqué de se faire une idée.

Parfois Facebook ou Twitter en supprimaient quelques-unes, qui revenaient tout aussitôt : en fait, ces derniers adoptaient plutôt profil bas sur la question …

Bien loin le temps où un Zuckerberg agacé argumentait sur sa propre page pour dénoncer les Fake News, ainsi le 19 Janvier 2018 : « Il y a trop de sensationnalisme, de désinformation et de polarisation dans le monde aujourd’hui ». Avec pour solution hypocrite de … restreindre la part accordée aux médias classiques sur la timeline des socionautes !

Il y avait des villes, des territoires à éviter : Génération Française – un groupuscule fascisant, né au lendemain de la 4ème pandémie, et prônant un nationalisme sanitaire – tenait certains cantons du Nord de la France, avant de se développer dans le Berry … allez savoir pourquoi ? Réservé aux « purs aryens » (= aux bons à rien).

Inversement, mieux valait contourner les terroirs tenus par les adeptes du Djihad Sanitaire si l’on n’était pas immédiatement identifié comme un vrai croyant … et encore, on courrait toujours le risque d’apparaître déviant : chaque religion avait ses fous de Dieu, qui se lançaient dans des guerres saintes particulièrement mortelles.

A côté les simples zones de non droit où fourmillaient malfaiteurs en tous genres pouvaient paraître comme plus « sûres » … relativement !

La désinformation régnait sur les médias sociaux, des recettes miracles contre les pandémies – Donald Trump n’avait-il pas ouvert la voie en suggérant des injections d’eau de Javel contre le Covid-19 ? – à la dénonciation d’individus malveillants, soupçonnés d’avoir facilité la dissémination des virus.

Son GPS indiquait les lieux à éviter, un peu comme jadis les radars : Niels suivait les indications à la lettre, multipliant les détours.

Il avait soigneusement évité Fontainebleau, repère de catholiques ultras réputés intransigeants et dangereux, les forêts du Gâtinais et ses coupe-jarrets, les villages entre Nemours et Montargis, extrêmement risqués – mais il ne savait plus trop pourquoi – pour se retrouver à Saint-Amand, supposée aux mains des djihadistes …

C’était juste une Fake News, il aurait dû s’en douter ; et il déjeuna paisiblement dans vieux routier à la sortie de la ville. Il avait encore 5 à 6 heures de route, et le Millevaches à traverser, aussi ne s’attarda-t-il pas trop à table ; et comme il en avait plus qu’assez de perdre son temps pour rien, il décida de ne plus tenir compte des alertes de son GPS.

Il traversa Guéret – repère intégriste, attention ! –, Bourganeuf – repère djihadiste, attention ! –, avant de s’enfoncer dans le Millevaches, pour s’octroyer une petite pause au bord du lac de Vassivière dont d’ordinaire – ou plutôt jadis – les bords attiraient des nuées de touristes ; mais aujourd’hui, quel calme !

Il se gara près du Sentier des Poètes, pour une courte balade à pieds, histoire de se dégourdir les jambes : certes sur son GPS clignotait un gros panneau de danger, mais il décida de ne pas en tenir plus compte que tous les précédents.

Fatale erreur : car en perturbant une transaction entre trafiquants de drogues et dealers, il devenait un témoin gênant ; et en ces temps et lieux de non-droit, la vie des témoins gênants ne valaient pas grand-chose.

Il pensa que tout n’était pas nécessairement des Fake News sur les médias sociaux et ailleurs …

Fatale erreur !

À l’ouest, et partout ailleurs, toujours rien de nouveau #4

4ème épisode de ma contribution à L’Horrificque Disputatio, ouvrage collectif des Mardis du Luxembourg.


APRES LA 5EME PANDEMIE

Le chat de Schrödinger 

C’était après la 5ème pandémie : la flèche du temps s’était brisée, l’époque semblait devenue quantique.

Le monde était devenu comme le chat de Schrödinger : on ne savait plus trop où se situait, non pas la vérité – ça, on y avait renoncé depuis longtemps – mais la réalité, les amis morts et ceux que l’ont pensait disparus et qui réapparaissaient, mais pas seulement …

On se réveillait le matin avec une plus ou moins claire vision des choses, le soir tout apparaissait différent – et pourtant, on avait l’impression que rien n’avait changé entre temps … et surtout pas soi-même : on était toujours soi-même et pourtant, on ne l’était plus vraiment.

Le monde semblait devenu quantique : bien sûr, cela ne signifiait évidemment pas que dans notre quotidien, la mécanique quantique l’emportait définitivement sur la relativité Einsteinienne, seul un auteur de science-fiction tel que Liu Cixin avec ses macro-électrons aurait pu l’imaginer.

Non, la pensée quantique n’avait pas débordé dans le monde macroscopique : elle s’était doucement infiltrée dans les sciences humaines, avait gagné la psychologie, la sociologie, l’ethnologie … là où l’attendait le moins.

L’un après l’autre, les virus s’étaient attaqué au corps social, qui s’était soudain révélé instable, comme rongé à son tour de l’intérieur ; un jour, un sociologue – mais nul n’en avait vraiment revendiqué la paternité, un peu comme si le terme était apparu trop vulgaire – avait utilisé le terme de « quantique » pour qualifier notre société … et l’expression s’était révélée comme une évidence : nous vivions dans un monde quantique !

La citation du physicien Richard Feynman : « Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas » semblait parfaitement adaptée à cette sociologie nouvelle en pleine ébullition, ou plus simplement aux nouveaux modes de vie, aux nouvelles relations humaines.

Sans doute cette incompréhensibilité nouvelle provoqua-t-elle la fuite de bien des jeunes vers les métavers, ces multiples mondes virtuels parallèles où tout se révélait si simple … peut-être simplement parce que ceux qui les avaient pensés venaient du « monde d’avant » – enfin d’un « monde d’avant » … mais lequel ?

Il n’était pas rare de rencontrer, affalés sur un banc public ou à la terrasse d’un café, des individus totalement absents, la tête coiffée de leur casque de réalité virtuelle ; mais la plupart du temps, ils ne sortaient plus … voire ne quittaient quasiment plus leurs appareils : des entreprises s’étaient créées dans les métavers, on pouvait y travailler, s’y faire des amis, presque fonder un foyer !

Montcuq

C’est dans ce contexte polymorphe que Niels décida de quitter Paris pour Montcuq : ce village du Quercy-Blanc avait été désigné par une majorité d’internautes pour occuper la case de la Rue de la Paix sur la grille d’un Monopoly des villes de France lors d’un scrutin en ligne organisé en 2007 par Hasbro, fabricant du célèbre jeu de société.

C’était une époque un peu folle, où l’on parlait du Web comme d’une immense plateforme de discussion, d’échanges, voire de création – on appelait ça, le Web 2.0. Bien sûr Niels était bien trop jeune pour avoir connu cette période mythique, mais il en avait parlé avec des parents, des amis, s’était documenté.

C’était une époque un peu folle, un monde de Bisounours où l’on croyait que tout le monde allait pouvoir dialoguer d’égal à égal – en P2P, disait-on –, consommateurs et marques, puissants et individus lambda, politiques et citoyens.

Par delà ce Web 2.0, on avait même imaginé un autre monde, un « Monde 2.0 », très justement nommé Second Life, un univers en 3 dimensions où les marques se construisaient des iles et où les gens – ou du moins, leurs avatars – se déplaçaient en volant d’ile en ile.

Les marques, mais aussi les politiques : les candidats à l’élection présidentielle de 2007 avaient chacun la leur, où leurs supporteurs diffusaient leurs tracts virtuels et où ils venaient de temps à autre tenir un meeting, par avatar interposé bien évidemment.

Ce « Monde 2.0 » n’avait hélas pas vraiment tenu ses promesses : déjà Hasbro avait fait un bras d’honneur à ses aficionados en préférant Dunkerque, arrivé second du vote en ligne, à Montcuq, suscitant aussitôt un vague d’indignation sans précédent sur la toile.

Et à l’altruisme des pionniers succédaient opportunisme et coups fourrés : les rumeurs les plus aberrantes séduisaient les naïfs, les révisionnistes infiltraient les sites de « journalisme citoyen » comme Agoravox, se mettait en place tout un écosystème de Fake News qui allaient ensuite exploser grâce à Facebook et aux réseaux sociaux.

Quand à Second Life dont les marques se sont assez rapidement enfuies faute de clients, l’ancêtre des métavers ne s’est jamais pleinement déployé : technologie poussive – les décors arrivaient après les avatars, on volaient dans des espaces désespérément vides – et manque de ressources financières – casinos interdits, prostitution sévèrement réglementée – ont rapidement sonné le glas.

Si Niels tenait tant à se rendre à Montcuq, c’est que juste avant le confinement qui avait suivi l’apparition de la 5ème pandémie, il avait reçu un texto de sa copine Albertine : « Vais faire du cheval chez des amis à Montcuq, rejoins-moi dès que tu peux – love » ; manque de chance, deux jours après, il était bloqué à Paris.