Boites de conserve 1 – Yuka 0 … ou l’inverse ?
Tout le monde – et surtout les jeunes – connaît Yuka, « l’application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et d’obtenir une information claire sur l’impact du produit sur la santé ».
Tout le monde la connaît et 5 500 000 consommateurs l’utilisent chaque mois : rien d’anecdotique, mais aussi une source de bien des tracas pour bon nombre d’industriels de l’alimentaire qui sous performent dans les résultats.
Et quand la startup qui a lancé l’application publie sur son blog : « Évitez au maximum la consommation d’aliments ayant été en contact avec l’aluminium (canettes de soda, légumes de conserve, etc.) », la Fédération française des industries des aliments conservés voit rouge et l’attaque en justice … et gagne !
Bien sûr, la presse relaie la condamnation : « Le tribunal de Versailles vient de condamner l’application de notation des aliments Yuka pour « dénigrement » des boîtes de conserve », rapporte ainsi Ouest France ; ou encore « Yuka, une application populaire qui note les aliments, a été condamnée à verser 3 000 euros à la Fédération française des industries des aliments conservés », pour France Info.
Sauf … que ce n’est pas l’application qui est en cause, mais un article de blog : en aucun cas, le tribunal n’a remis en cause la qualité de cette dernière !
On passera sur le côté « à peu près » que l’on retrouve sur la plupart des sites de presse – je n’oserais pas dire que bien souvent les journalistes sont des spécialistes du « copier coller » … pour se poser la VRAIE question : à qui profite, sinon la condamnation, du moins sa diffusion ?
A la conserve ? Que nenni !
« Si les consommateurs se détournent des conserves, c’est aussi à cause de l’image parfois négative qu’elles véhiculent » : ce n’est pas moi qui le dit – pas envie de me voir ester en justice par la Fédération française des industries des aliments conservés pour dénigrement – mais LSA.
Donc, d’un côté, un produit dont l’image ne semble pas au top ; et de l’autre, une startup dont l’application est plébiscitée par des millions de consommateurs, souvent jeunes, qui vont voir que LEUR appli a été attaquée en justice par un gros lobby : l’éternelle histoire du pot de terre contre le pot de fer … qui dans l’imagerie populaire profite toujours au plus faible.
La plupart des gens ne liront pas en entier les articles de presse évoqués … et l’image de la conserve s’en trouvera encore plus écornée ; quant aux autres, ils verront qu’on y parle de généralisation abusive … ce qui signifie qu’il y a malgré tout quelque-chose de suspect.
Bref, une image de marque dégradée versus un capital de sympathie renforcé : devinez qui, en termes marketing, est vainqueur ?
Alors, la conserve devait se faire dénigrer sans réagir ? Peut-être pas … mais commencer par nouer le dialogue, c’est pas mal aussi, avant le marteau-pilon !
Après, pour parler d’approximations ou de généralisations aboutissant au dénigrement, certains sites de presse sont plutôt pas mal : l’Opinion par exemple, qui écrit :
« Une application qui permet, en scannant le code-barres d’un produit au supermarché, de savoir ce qui les compose apporte une réponse. C’est très positif.
« Le problème ce sont les bases de données sur lesquelles s’appuie Yuka pour faire tourner ses algorithmes et donner des notations. Et au-delà, sans doute, le poids qu’a pris cette application dans l’appréciation qu’ont les consommateurs de ce qu’ils achètent.
« Explication : Yuka vient d’être condamné pour le tribunal de Versailles, le 5 mars 2020, pour dénigrement, et pratiques commerciales déloyales et trompeuses. Pas tant pour son application que pour ce qu’il racontait sur son site Internet ».
Que viennent faire les « les bases de données sur lesquelles s’appuie Yuka » au beau milieu de tout cela ? Le titre précise pourtant un peu plus loin que Yuka a été condamné : « Pas tant pour son application que … ».
« Pas tant pour » constitue bien une forme de dénigrement puisque l’application n’a en aucun cas été mise en cause … mais l’expression utilisée ici semble bien, dans la langue de Voltaire, induire comme un doute.
Quant aux bases de données, Yuka s’est longtemps appuyé sur Open Food Facts, « un projet collaboratif en ligne et mobile dont le but est de constituer une base de données libre et ouverte sur les produits alimentaires commercialisés dans le monde entier » ; depuis elle est principalement alimentée par les contributions des mobinautes à travers l’application, et les industriels eux-mêmes via la plateforme Alkemics : tout cela est transparent, si l’Opinion voulait bien se donner la peine de creuser !