Philippe Rondeau et la grande rébellion des consommateurs
Le marketing a trop souvent considéré les consommateurs comme des cibles taillables à merci, pourvu qu’on leur propose des produits et/ou services à peu près adaptés à leurs besoin … sauf qu’aujourd’hui, ça marche de moins en moins – voire plus du tout selon les populations à qui on s’adresse : la grande rébellion des consommateurs, c’est maintenant et partout !
Quelle forme prend-elle ? Comment en est-on arrivé là ? Quels secteurs sont les plus touchés ? Quelles solutions pour les marques ? Et sur quoi tout cela va-t-il déboucher ?
Toutes ces questions, le Club Horizon(s) de l’Adetem les a posées le 4 Mai dernier à un panel d’expert ; retour sur cet événement avec Philippe Rondeau, Responsable Marketing de Sodebo, et membre du Conseil Scientifique de l’Adetem.
MarketingIsDead : Les Français se montrent de plus en plus critiques vis-à-vis des initiatives, même « citoyennes », des marques, tu en as vécu la difficile expérience chez Sodébo …
Philippe Rondeau : Les Français sont paradoxaux. Ils le sont individuellement mais la société française est aussi une société de paradoxes, pour ne pas dire une société de fractures. Ainsi les contraintes et les aspirations des uns ou des autres sont très différentes selon le lieu d’habitation (en ville, en périphérie, en zone rurale), sa situation économique, sont statut familial… Les marques qui pour la plupart sont issues des 30 Glorieuses et ont comme vocation de s’adresser à l’ensemble de la population dans une logique de consommation de masse, se trouvent face à un « archipel » qui devient impossible à adresser de façon pertinente. Les initiatives prises par les marques sont donc de plus en plus « segmentantes » donc excluant ainsi une partie de la population qui les critique vertement. Les marques tergiversent, essaient de trouver un juste milieu, font preuve de pédagogie afin d’expliquer leurs efforts pour assurer cette nécessaire transition mais le résultat n’est pas souvent à la hauteur des attentes et les consommateurs pointent immédiatement du doigt les incohérences criantes entre le discours et les actes.
Il devient très difficile pour les marques de valoriser leurs avancées « citoyennes » sans être accusées de « greenwashing », de « social washing » ou pire… D’ailleurs dans une étude récente l’institut KANTAR notait que moins de 10% d’un panel de 530 marques alimentaires étaient jugées comme « responsables » de la part des consommateurs !
MarketingIsDead : Bref, c’est la défiance qui s’installe envers les marques, tandis qu’apparaissent de nouveaux « tiers de confiance » ?
Philippe Rondeau : Effectivement, face à des marques qui ne semblent pas comprendre et répondre à leurs problèmes, les consommateurs cherchent des réponses ailleurs. La confiance se construit désormais à travers les discussions entre consommateurs et via de nouveaux tiers, qui ne se présentent pas comme des acteurs économiques mais comme des initiatives citoyennes au service des citoyens. Le boom des applis s’est construit sur ce principe. Les marques sont exclues de ces nouveaux échanges, elles n’en sont plus les actrices, juste les objets, sans avoir le moyen d’y prendre part. Ainsi la relation directe essentielle que les marques entretenaient avec les consommateurs s’étiolent.
MarketingIsDead : Et de nouveaux comportements se développent …
Philippe Rondeau : Forcément ! Les marques ayant de moins en moins la capacité à influencer les comportements de consommation faute de crédibilité, la consommation se réoriente vers de nouveaux standards en rupture avec ceux « du monde d’avant » : circuits courts vs grande distribution, produits locaux vs grandes marques internationales… Mais un autre comportement progresse également qui vise à optimiser son pouvoir d’achat : fréquentation de solderies, pratiques anti-gaspillage… Les marques « historiques » se retrouvent écartelées entre des phénomènes comportementaux très différents mais dont le point commun est une critique d’un modèle, comme une distanciation consommatoire qui s’installerait dans les pratiques des français après la distanciation sociale imposée par la Covid.
MarketingIsDead : Quelles perspectives ? Comment les marques peuvent-elles s’en sortir ?
Philippe Rondeau : En période de crise, les marques retrouvent un rôle important de repère et de réassurance. Dans un monde chahuté et incertain, les consommateurs cherchent aussi à se raccrocher à ce qui est connu et pérenne. Les marques et leur histoire apportent cette réassurance. La crise révèle aussi la place essentielle de la consommation. S’il y a une forme de mise en questionnement de la consommation, celle-ci conserve un rôle social fondamental. Les marques restent des marqueurs sociaux et permettent une forme de réalisation sociale.
Les marques ne sont donc pas vouées à disparaitre mais si elles veulent jouer leur rôle cela va nécessiter d’être beaucoup plus exigeant sur la cohérence entre les discours et les actes et de trouver la manière non plus de s’adresser à tous mais de s’adresser à chacun. C’est avec ces efforts que les marques réussiront à se réconcilier aux consommateurs rebelles.