Relire Céline
Récemment, les médias se sont répandus en diatribes enflammées contre une éventuelle réédition des pamphlets antisémites de Céline – écrits à vomir, nul ne le contesterait, mis à part quelques nazillons de service.
Mais vouloir réduire Louis-Ferdinand Céline à ces écrits serait aussi stupide que résumer Marcel Proust ou André Gide à leurs penchants homosexuels – ce que, hélas, certains exégètes bien-pensants se sont permis : Céline, Proust et Gide dépassent d’une bonne tête bien des auteurs de la 1ère moitié du 20ème siècle.
Jeter aux orties Céline, ce serait finalement … justifier la boucherie de 14-18, si violemment dénoncée dans le Voyage au bout de la nuit : je relis ces pages où l’on s’en va fusiller un espion … mais personne n’est vraiment sûr que ce soit un agent ennemi … même pas lui !
« A pied, les traînards derrière la forge et le pain et des prisonniers à nous, des leurs aussi, en menottes, condamnés à ceci, à cela, mêlés, attachés par les poignets à l’étrier des gendarmes, certains à fusiller demain, pas plus tristes que les autres. Ils mangeaient aussi ceux-là, leur ration de ce thon si difficile à digérer (ils n’en auraient pas le temps) en attendant que le convoi reparte, sur le rebord de la route — et le même dernier pain avec un civil enchaîné à eux, qu’on disait être un espion, et qui n’en savait rien. Nous non plus.
C’était ça, la Grande Guerre : on mitraillait les lignes ennemies et entre deux assauts ratés, on fusillait qui passait par là, y compris ses propres troupes ».
De Mort à crédit à Nord en passant par Féerie pour une autre fois et D’un château l’autre, démesure et démence s’installent dans une œuvre provocatrice et grand-guignolesque ; paranoïaque jusqu’au bout des ongles, il est convaincu que le monde entier lui en veut … et il lui rend bien : on pourrait le qualifier de raciste envers l’humanité – voire plus !
Dans D’un château l’autre, tous les anciens pontes de Vichy qu’il côtoie, en prennent autant pour leur grade que les Tartre – traduire : Jean-Paul Sartre – et autres Larengon – Louis Aragon : il réussit le tour de force de s’attirer la haine de tous.
Encore une fois, les écrits antisémites de Céline sont abjects – même si du point de vue historique, ils témoignent néanmoins d’une époque.
Ses romans sont d’une autre trempe : le verbe est puissant, les descriptions colorées, les logorrhées déroutantes – le tout se révèle captivant … ou détestable, question de goût, bien sûr.
Finalement, toutes ces polémiques récentes m’auront juste donné envie de relire des livres que j’ai dévorés en arrivant à l’université.