27 mai 2020
Vous avez aimé le Greenwashing ?
Vous allez adorer l’éthique-washing.
Greenwashing : « procédé de marketing ou de relations
publiques utilisé par une organisation dans le but de se donner une image de
responsabilité écologique trompeuse », rappelle Wikipédia.
Sur ce modèle, on peut aisément construire : Ethique-washing : « procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation dans le but de se donner une image éthique trompeuse ».
Découvrez par exemple la superbe Charte éthique du groupe Auchan, qui dès les
premières lignes donne le ton : « Auchan
s’est développé depuis sa création en 1961 en s’appuyant sur un socle de
convictions et de valeurs fortes et un engagement solide en matière
d’éthique » : convictions, valeurs, voilà des termes forts !
La suite est du même acabit – et
même bien entourée du beau filet rouge pour en souligner l’importance : « Nos valeurs nous inspirent au
quotidien. Nous croyons que chacun aspire au mieux-vivre : toutes nos
équipes ont pour ambition d’exercer leur métier de façon responsable et
innovante afin d’améliorer la qualité de vie du plus grand nombre de femmes et
d’hommes ».
Toutes les entreprises du groupe
sont concernées : « partagée
par les équipes de tous les pays, les Visions d’Auchan Retail, Oney et Immochan
posent très clairement l’identité, la raison d’être, les engagements et
l’ambition de chaque entreprise du Groupe ».
Auchan
Retail, je
connais ; mais Oney ? Je
googlise donc et tombe sur cet article de France 3 Hauts de France : « Le groupe Auchan au cœur de l’optimisation fiscale
maltaise ».
Ça ne sonne pas très éthique, comme le
détaille une enquête de Mediapart relayée
par Médiacités, qui détaille : « En juin 2011, deux sociétés ont été
créées sur l’île de Malte : une pour l’assurance vie et l’autre pour
l’assurance classique, comme l’expliquait Mediapart. Créée en mars 2011, une
troisième société, nommée Oney Holding Limited, encaisse les dividendes des
deux premières. Le taux officiel de l’impôt à Malte est de 35 %, davantage que
les 33,3 % prélevés en France. Mais lorsqu’une société détenue par des
étrangers distribue des dividendes à ses actionnaires, le fisc lui rembourse
jusqu’à 85 % de l’impôt. Au total, entre 2014 et 2016, Auchan a ainsi économisé
21 millions d’euros d’impôts, selon les calculs de Mediapart ».
Auchan comme Decathlon, Auchan, Boulanger, Orsay, Adeo, Saint-Maclou et quelques
autres, appartiennent à l’Association
familiale Mulliez, elle-même en délicatesse avec le fisc français, comme le
rappelle Capital : mais peut-être l’éthique des
filiales ne concerne pas le sommet de la pyramide.
Pourtant, c’est un autre article
récemment découvert dans Libération qui a le plus suscité ùon
indignation et m’a conduit à rédiger ce billet, article intitulé : « Les liaisons dangereuses du français
Voltalia avec la Birmanie ».
Voltalia, je ne connaissais pas plus qu’Oney, donc je consulte Wikipédia :« Voltalia est une entreprise française du groupe
Mulliez qui construit et exploite des centrales électriques à partir d’énergie
renouvelable, en France et dans les pays émergents ».
« Energie renouvelable » : ça sonne plutôt bien ;« pays émergents » : on peut espérer le meilleur … ou
craindre le pire !
Ce nous présente le quotidien confirme
aussitôt mes craintes : « Voltalia
fournit de l’électricité renouvelable depuis février 2018 à MyTel » …
et ce MyTel, c’est en fait Myanmar Economic Corporation, « l’un des deux puissants conglomérats
du pays aux mains de l’armée birmane ».
Il faut savoir que l’armée birmane,
pour ne pas avoir à rendre de compte à un parlement pourtant totalement à la
botte, finance ses exactions contre les Rohingyas
via ces deux conglomérats … ce qui signifie que le groupe Mulliez, via Voltalia,
porte sa part de responsabilité dans l’extermination de la minorité des Rohingyas.
Suite à un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU soulignant
que « toute activité commerciale
étrangère impliquant le Tatmadaw [= forces armées birmanes] et ses conglomérats
présentait un risque élevé de contribuer ou d’être liée à des violations du
droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire »,
des entreprises comme Western Union ou
Newtec, fournisseur en services
technologiques de MyTel, ont cessé toutes
activités en Birmanie.
Pas Voltalia, malgré les demandes pressantes d’ONG comme Sherpa, RSF et Info Birmanie.
A l’heure où le concept « d’entreprise à mission » a
le vent en poupe – pour ne pas dire est « tendance », – il me semble particulièrement dommageable
que des sociétés ne tiennent pas leurs promesses, comme le Groupe Mulliez.
Personnellement, j’aurais bien du
mal à travailler dans une entreprise sans éthique … même si cela réduit
considérablement le champ des possibles ; je pense en outre qu’il convient
de militer pour convaincre les mauvais élèves de s’améliorer … mais il y aura
toujours des brebis galeuses, hélas !
Par contre, que d’aucuns se
permettent d’afficher des chartes éthiques pour ne pas respecter les principes fondamentaux
de l’Ethique – avec une majuscule – cela ne peut que se révéler triplement catastrophique.
Pour leur image de marque, parce qu’un
jour tout se sait … mais ça, on s’en fout un peu.
Pour la société humaine : même
si une société n’écrit pas ouvertement qu’elle ne participera jamais à un
génocide, ou s’en rendra complice – c’est tellement évident –, ce n’est pas une
raison de le faire … et de continuer à le faire en toute connaissance de cause.
Et pour le marketing : car ce sont
toujours les marketers que l’on accusera de mentir – tous coupables bien
évidemment –, même ceux qui pratiquent un marketing vertueux et responsable.
La profession ne faudrait peut-être
pas attendre qu’une ONG lance les Prix
Pinocchio de l’éthique-washing – comme existent ceux du green-washing :
c’est à elle de balayer devant sa porte avant que d’autres s’en chargent.