26 janvier 2009
Mes copains de Courts circuits ont démarré une vaste réflexion sur la presse et son avenir – c’est dans l’air du temps – et s’interrogent notamment sur « les nouveaux enjeux de la libre circulation de l’information portée par les NTIC ».
S’interrogent … et m’interrogent sur l’opportunité « d’humaniser l’émetteur pour recréer les conditions d’un dialogue ».
Point de départ de la réflexion : la toile bruisse aujourd’hui d’innombrables discussions – consommateurs, experts de tous crins, politiques, etc. et bien sûr, informateurs des plus divers.
Informateurs des plus divers, c’est-à-dire des gens comme vous et moi qui diffusent des informations nouvelles – « la vidéo que j’ai prise dans la rue au moment où … » ; « la photo de … » ; etc. – ou simplement les commentent ; mais aussi tout une flopée de journalistes méconnus qui trouvent là une certaine revanche à l’adversité ; et puis, de « vrais journalistes ».
« Vrais journalistes » ne signifiant pas grand chose, sinon la possession d’une carte de presse.
Il y a ceux qui, censurés par leur titre ou autocensurés, ont développés leur blog pour échapper à cet interdit – je pense aux reporters américains en Irak.
Il y tous ceux qui collaborent à des titres prestigieux – Libération, Le Monde, Le Figaro – et qui souhaitent prolonger leurs articles d’une note plus personnelle.
Il y a la nouvelle génération, née avec le Web 2.0, les rédacteurs de Rue89, le Post, Bakchich, etc.
Bref, tout cela fait du monde, beaucoup de monde, surtout si l’on rajoute les Wikio, Agoravox et autres Betapolitique. Vraiment beaucoup de monde.
Des tas de gens qui s’expriment en leur nom … comme tous les blogueurs du monde entier !
Faut-il lire dans cette gigantesque conversation, l’avenir du Web ? Certainement … jusqu’à ce que de nouveau progrès technologiques viennent l’enrichir … sans toutefois le remettre en cause.
Faut-il lire dans cette gigantesque conversation, l’avenir de la presse ? Certainement … un raccourci un peu rapide … et un contresens évident !
L’avenir du Web
En termes d’information, le Web 2.0 marque le passage d’une société verticale à une société horizontale.
Une société verticale, c’est une société où, si tous accèdent à l’information, seule une minorité possède le pouvoir de la diffuser – bref une oligarchie.
… et bien évidemment, une société horizontale, c’est une société où tout un chacun peut émettre des messages, techniquement recevables par tous.
Le « techniquement » n’est pas sans importance : dans un pays où entre 3 et 4 millions d’individus tiennent leur blog – sans parler des adolescents –, il devient de plus en plus difficile – et illusoire – d’espérer se faire entendre de tous.
Dans le champ du marketing et de la consommation sont apparus des facilitateurs : des espaces où je peux m’exprimer sur un produit avec une certaine garantie d’être entendu de ceux à qui je souhaite m’adresser. Ainsi, si je ne suis pas totalement satisfait de mon dernier caméscope numérique, je peux laisser un avis sur Amazon, et je suis sûr de toucher de futurs acheteurs … ou plutôt potentiels acheteurs, car je compte bien les détourner de leur choix.
Quoi qu’il en soit, le Web 2.0 redonne non pas « le » mais « du » pouvoir, aux consommateurs dans ce derniers cas, et aux citoyens en général … et je doute que ces derniers soient prêts à le lâcher !
Petite remarque : le business model d’Amazon n’est certainement pas de faciliter les conversations des consommateurs, ni de produire des avis, objectifs ou subjectifs, sur les produits et services qu’il vend : amazon.fr n’est pas un site consumériste.
Les fonctions de la presse
En termes d’information, il convient de distinguer la production de l’analyse et du commentaire :
– Rachida Dati doit prochainement quitter le gouvernement est un fait avéré : tel jour, à telle heure, un journaliste, puis un autre, ont porté l’information à la connaissance du plus grand nombre.
– Rachida Dati devenait de plus en plus gênante pour le locataire de l’Elysée, il lui fallait trouver une solution « politiquement acceptable » pour s’en débarrasser : le fait est connu depuis un certain temps, les analystes expliquent.
– Sarkozy est vraiment … (je vous laisse choisir le qualitatif qui vous convient le mieux) d’agir ainsi avec celle qui l’a toujours soutenu : on passe de l’analyse à l’opinion, au commentaire subjectif.
Il est clair que le commentaire ne relève pas – exclusivement – du journalisme ; mis à part la presse militante, le commentaire tient plus du café du commerce, de l’opinion courante et/ou partisane … bref, entre totalement dans le champ du Web 2.0.
L’analyse est du ressort des éditorialistes – ceux qui donnent sens aux faits bruts ; de tels billets sont nécessairement signés par de prestigieuses personnalités conférant leur autorité au titre qui les emploie. Bien sûr de telles signatures existent indépendamment des organes de presse – de plus en plus grâce au Web 2.0 ; mais existeraient-elles sans eux, qui les financent ?
La production relève des seuls journalistes.
Attention, produire de l’information, ce n’est pas seulement se contenter de relayer des communiqués : c’est avant tout, diffuser un matériau fiable – c’est-à-dire constaté de visu ou suffisamment recoupé.
C’est même la base du métier de journaliste … et la fonction primaire de la presse.
L’avenir de la presse
Produire de l’information, fonction primaire de la presse, certes, mais de plus en plus souvent mal vécue par … les journalistes : c’est l’analyse qui confère promotion et prestige, pas la quête des faits bruts.
Albert Londres ne fait plus rêver …
Dès lors, l’investissement – intellectuel, financier, etc. – s’effectue dans l’analyse : les éditorialistes pèsent de plus en plus, s’autorisent même au commentaire personnel – comme tous consommateurs du café du commerce.
Et rentrent en compétition avec Monsieur Toutlemonde, le blogueur du coin de la rue, vous et moi.
Et la presse devient une véritable cacophonie.
Deux pistes sont actuellement explorées, l’une pour en sortir, l’autre pour l’organiser :
– En sortir, en privilégiant les sites valorisant l’analyse – on offre aux signatures les plus prestigieuses des espaces réservés : c’est le modèle du site américain Slate dont Jean-Marie Colombani s’apprête à lancer une version française ;
– L’organiser, en favorisant le dialogue, entre la rédaction et ses lecteurs, mais aussi – surtout – entre ses lecteurs entre eux : c’est le modèle initié par Rue89, où les fils de discussions se révèlent tout aussi instructifs que les papiers qui les initient (comme sur certains blogs, d’ailleurs).
Ce faisant, la presse se coupe de plus en plus de son métier originel – produire de l’information.
En se désinvestissant de cette fonction primordiale, elle laisse la place à des non spécialistes – avec toutes les dérives potentielles : diffusion de fausses informations, rumeurs, etc.
En se désinvestissant de cette fonction primordiale surtout, elle devient également productrice de … fausses informations : c’est Europe 1 qui annonce la mort de Pascal Sevran ; c’est l’AFP qui annonce l’explosion en vol avec dix satellites d’une fusée indienne ; etc.
La dette et le don
Tout produit, tout service, y compris la presse, apporte un bénéfice à ses consommateurs – bénéfice lui permettant de se distinguer de ses concurrents : c’est son offre, ce que Georges Péninou qualifiait de « don ».
Mais ce « don » ne vient qu’en complément des fonctions de base du produit : Georges Péninou parlait ici de « dette ». Trivialement, on n’imagine pas une voiture plus spacieuse ou plus sûre … mais sans roues !
On n’imagine pas un dentifrice qui laisse l’haleine plus fraîche … mais ne lave pas les dents !
Par contre, tous les hommes de presse s’inquiètent de ce qu’ils pourraient offrir de plus aux internautes – plus d’analyse, plus de dialogue : plus de « don » – sans trop se soucier si la « dette » qu’ils ont contractée à l’égard de leurs lecteurs – simplement en publiant un journal –, elle, ils la remboursent.
En d’autres termes, oui, progressez, messieurs les journalistes, vers plus de dialogue, de conversation, etc.
Mais avant tout, faites votre métier de journaliste : investiguez !
Car votre « métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », comme le disait si bien Albert Londres.
Arrêtez de vous faire plaisir … et mettez-vous au travail !