Les consommateurs parlent de vous … mais vous ne le savez peut-être pas
En 1999, les auteurs du The Cluetrain Manifesto publiaient leur 95 thèses, dont la 1ère et la plus célèbre : « Les marchés sont des conversations » … ou en d’autres termes : les consommateurs parlent aux consommateurs (et tant pis pour vous si vous n’êtes pas au courant, parce que c’est de vous qu’ils parlent).
Mais il serait dommage de se limiter à une thèse et d’oublier les 94 autres que l’on retrouvera ici : http://www.cluetrain.com/manifeste.html.
Quoiqu’il en soit, depuis bien des annonceurs l’ont vérifié à leurs dépens, comme Dell en 2005, quand Jeff Jarvis publia sur son blog (http://buzzmachine.com/2005/08/17/dear-mr-dell/) une lettre commençant poliment par « Dear Mr. Dell », puis continuant en termes plus incisifs : « Your customer satisfaction is plummeting, your marketshare is shrinking, and your stock price is deflating. Let me give you some indication of why, from one consumer’s perspective ».
Dans les mois qui suivirent commença pour la marque d’ordinateur une véritable descente aux enfers avec une chute de près de 50% de la valeur de son action !
Heureusement, toutes les crises qui affectent les marques sur la toile ne se révèlent pas si grave : la plupart du temps, l’entreprise rectifiera ses erreurs, et les consommateurs oublieront aussitôt – reconnaissons que des erreurs sur le web social, les marques en commettent quasiment tous les jours, faute de personnel à la fois compétent en médias sociaux et en marketing !
Ainsi, ses clients ont déjà tourné la page du licenciement par Monoprix d’un employé de 59 ans, suspendu pour avoir récupéré dans la benne à ordure et emporté chez lui 6 melons et 2 salades, des produits périmés : reste juste quelques traces sur la toile, comme cette parodie publicitaire, avec le slogan : « On fait quoi pour vous aujourd’hui ? » ; réponse : « On licencie un vieil employé parce qu’il vole dans les poubelles pour nourrir ses enfants » !
L’enseigne a eu le bon goût de ne pas s’enferrer dans sa démarche procédurale comme Alten qui a licencié 2 salariés en 2008 pour avoir dénigré leur entreprise sur Facebook … sur des espaces privés d’ailleurs, mais un de leurs « amis » les a gentiment dénoncés ! Non seulement, la cour d’appel de Versailles a débouté la société pour vice de procédure mais l’affaire (rebaptisée « Licenciements Facebook ») a fait le tour du web social, devenant un (bien piètre) cas d’école (puisque non jugée sur le fond) … et Alten a gagné la réputation d’une entreprise où l’ambiance de travail n’est certainement pas des plus chaleureuses, ce qui ne doit pas faciliter la tâche du DRH pour ses recrutement (mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même).
D’ailleurs aujourd’hui, bien des avocats spécialisés recommandent d’éviter les procédures trop abruptes – même si de bon droit – quand les problèmes peuvent se régler autrement.
D’autant que souvent les consommateurs qui attaquent les marques sur les médias sociaux se révèlent des aficionados … déçus : bien souvent, il suffit de les prendre en conversation privée pour qu’ils se répandent en louanges, leur cas résolu positivement.
D’où importance du Community Management : mieux vaut éviter de le déléguer au premier stagiaire venu, sous prétexte que c’est un « truc de jeunes » !
Parfois, même des spécialistes chevronnés auront du mal face à l’avalanche de tweets, commentaires et autres posts : l’équipe d’Air France se souvient encore avec effroi du week-end de folie qui suivit l’accident nucléaire de Fukushima !
En 2010, le malheureux modérateur de la page Nestlé sur Facebook a dû se sentir bien seul quand ses « amis » ont commencé à lui demander des comptes sur les accusations lancées par Greenpeace selon lesquelles la multinationale suisse contribuait à la déforestation en Indonésie en raison de son utilisation massive d’huile de palme : le malheureux a louvoyé (« Nous ne sommes pas là pour discuter de ça »), puis perdu pied – et supprimant les comptes de ses ex-« amis ».
L’affaire prit une telle ampleur que le 13 avril, ce sera Peter Brabeck lui-même, chairman du groupe, qui devra siffler la fin du jeu … en annonçant accéder aux demandes de l’ONG !
Heureusement, la plupart du temps, tout se passe dans le plus grand calme – et même parfois dans un trop grand calme, notamment sur Facebook : car il ne suffit pas d’être présent, il faut dialoguer avec les internautes … et ne surtout pas parler pour ne rien dire ! ING Direct, qui compte près de 50 000 amis français, les fidélise en publiant des contenus sérieux et didactiques, en alternance avec d’autres plus ludiques.
Sinon, les socionautes (= les internautes sur les médias sociaux) s’ennuient : et quand ils n’ont rien de mieux à faire, ils imaginent Cerise de Groupama en train de « badiner » (enfin, ils sont plus crus) avec Olivier de Carglass !
Mais attention : il y a une vie en dehors de Facebook ! Certains médias sociaux ont perdu de leur superbe, comme Myspace ou Second Life – mais aucun n’a disparu.
Les forums constituent encore d’extrêmement productifs lieux d’échanges : sur les généralistes, comme Aufeminin.com, les femmes s’échangent de bons tuyaux sur les assureurs entre deux autres thématiques ; sur d’autres plus spécialisés (automobiles, mais surtout juridiques), on sera toujours étonné de voir comment d’anciens collaborateurs (et même pas toujours d’anciens collaborateurs, d’ailleurs) de grandes compagnies expliquent à de malheureux assurés comment se défendre contre … leurs employeurs !
On s’intéressera également aux commentaires déposés sur les sites marchands : ainsi Amazon laisse les avis négatifs de ses clients (et y gagne en crédibilité, au grand désespoir de ses fournisseurs) ; et à ceux laissés sur les sites médias, aux sites de type UGC (Users Generated Contents) comme Agoravox, aux réseaux professionnels comme LinkedIn, aux réseaux émergents comme Pinterest, Twitter bien évidemment, etc.
Bien sûr, la parole de tous les internautes n’a pas le même poids : certains influent plus que d’autres sur le cours des évènements, pour de multiples raisons, de l’ego surdimensionné à de basses motivations commerciales.
Ainsi en 2009 sont apparus sur le web social de nombreux messages dénonçant les dangers du paraben dans les produits cosmétiques (mais pas dans l’alimentation !) : rumeur classique, fondée sur des sources « autorisées » mais lointaines (« une étude britannique parue en 2004 ») et relayant des informations anxiogènes (cancer du sein, notamment). Mais surtout rumeur alimentée par des blogueurs liés à de petits sites marchands proposant des produits cosmétiques bio … sans paraben !
Bien sûr, pour une marque établie, toute prise de parole sur le web social n’est pas sans risque : les émetteurs doivent se révéler quasiment irréprochables. Michel Edouard Leclerc en a fait la douloureuse expérience quand ses clients ont commencé à souligner sur son blog que son discours en faveurs des consommateurs ne correspondait que de loin à la réalité de ses magasins : ses posts disparaissaient sous un flux incessant de commentaires vindicatifs. »
Aujourd’hui les banques peinent à s’exprimer sans déclencher d’ire systématique de nombreux socionautes : ainsi fin 2009, la Société Générale se vit traiter de « bankster » surfant sur le « fin-du-mondisme » (sic) pour avoir publié une étude soulignant que la page de la crise économique était loin d’être tournée.
Bref, un nouveau monde est en train de se construire, extrêmement complexe pour nombre d’entreprise qui ne s’y sont pas préparées.
Complexe parce qu’il l’est de dialoguer avec des consommateurs qui vous demandent immédiatement des comptes sur la moindre de vos initiatives : fini le temps des lettres de réclamation circonstanciées, maintenant, on publie ses doléances en lettres capitales sur Facebook – nettement plus efficace !
Complexe parce que les entreprises doivent aussi manager des collaborateurs de la génération Y, rompus à des pratiques jusque-là méconnues – voire interdites par les DSI. Des collaborateurs prêts à dialoguer avec les consommateurs sur les réseaux sociaux, tant sur leur temps de travail que le soir à la maison … mais revendiquant également le droit de discuter avec leurs amis sur Facebook au bureau.
Complexe enfin parce que le bouleversement apparaissent continuels – et les certitudes s’effondrent : il y a cinq ans, le futur du web social s’incarnait en Myspace et Second Life, personne ne misait encore sur Facebook et Twitter. Rappelons que quelques années plus tôt, les annuaires – et notamment Yahoo – dominaient le web « classique » et personne ne parlait de Google …